« T'es un idiot, tu m'as fait peur »

J'aimais beaucoup sa voix - je la trouvais douce, agréable, magnifique à entendre, et qui contrastait superbement avec son attitude à la limite de l'hyperactivité. Toujours en action, toujours à papoter, incapable de se reposer correctement, à mon avis. C'était ça que j'adorais chez elle, sa capacité à entraîner les autres dans des délires, que, personnellement, si on sort du contexte, je trouverais plus que débiles. J'me sentais bien avec elle, comme si j'avais une belle vie, et que tout le monde était beau et que tout l'monde était gentil. Elle me permettait d'oublier, elle était comme un baume, et ça faisait du bien, de pouvoir échapper à la réalité de temps en temps. Bon okay, là, j'arrivais pas vraiment à penser, vu ce que j'avais pris plus tôt. Sérieusement, j'espère qu'elle ne se rendra pas compte, parce que j'crois que je passerais un mauvais quart d'heure. Mais Aaliyah c'était un soleil, qui embellissait un peu ma vie. Elle éloignait certaines périodes noires de ma vie.
Je crois que j'ai frissonné un peu quand j'ai senti ses lèvres sur ma joue, j'avais vraiment pas l'habitude de ça, ou d'un quelconque geste d'affection en général. J'étais pas doué avec tout ça, on m'avait jamais appris à aimer et à recevoir. Mais vu que là, j'étais dans un état un peu différent - ou habituel, ça dépend du point de vue - j'ai pas pu faire a+b et j'l'ai pris dans mes bras, je l'ai serré fort, avant de l'embrasser tout aussi fort sur la joue droite et de ricaner un peu. Un ricanement que j'aurais jamais fait avant. Tentative de passer inaperçu raté. J'allais me faire griller à ce rythme.
Je me contente de lui sourire, penaud, et je fais quelques pas sur le côté avant de m'asseoir sur le banc à mon tour, me laissant glisser quelque peu sur ce dernier.

« Alors, comment va ma rouquine préférée ? »

Sur ces mots, j'ai sorti un paquet de cigarette de ma poche et j'en ai allumée une, le regard un peu perdu dans le vague - lointain.

« Ta petite rouquine préférée irait vachement mieux si tu t'étais pas amusé à prendre je ne sais quelle merde avant de la retrouver. »

J'ai pas bronché, parce que y'avait rien à dire. Aucune question posée, que dal, juste une réflexion, une petite pique. J'ai même pas soupiré. Juste ignoré royalement, bien que l'envie de lui répondre me démangeait. Seulement, c'était Aaliyah, et pas n'importe qui, j'comptais pas la perdre à cause d'une foutue réponse qui voulait franchir la barrière de mes lèvres. Je la regarde même pas. Histoire de faire comme si je n'avais rien entendu.

« T'as pas l'impression de gêner une personne en t'allumant une cigarette ? »

J'ai regardé ma clope. Puis elle. Puis ma clope. Putain. C'était comme si je devais choisir entre mon ordi et un sachet de drogue. Autant vous dire que c'était quasi impossible de l'faire. J'ai rejeté un nuage de fumée, et soupire pour la centième fois de la journée, exaspéré. J'avais tendance à oublier, à briser les règles qu'on m'imposait, parce que j'aimais pas l'impression d'être un soumis ou quoi. C'était comme ça, je faisais tout le contraire de ce qu'on me disait. C'pour ça que j'avais un dossier judiciaire précisant plusieurs actes de violence, à différents degrés, qu'il m'arrivait de voler, que je dealais, et que je piratais. Et quand je me ferais choper eh ben... je me ferais choper, écoutez. Mais bon, comme je vous l'ai dis, c'était Aaliyah, et je veux pas m'engueuler avec elle et tout ça, alors j'ai juste exprimé mon mécontentement en râlant.

« Tu fais chier »

Je l'ai éteint à contre-cœur, avant de faire mine de bouder - bien qu'en réalité j'en avais rien à carrer pour l'instant, j'étais pas trop en manque. Je la finirais dans quelques heures. Enfin, je trouverais bien un moyen. Puis je tourne la tête vers elle, lui tire la langue, avec des yeux rieurs.

« Mais c'est pour ça que je t'aime »

Je lui donne une pichenette sur le nez à sa réponse, amusé, et finis par lui offrir un de mes sourires cocktail - un mélange de charme et d'amusement, un truc comme ça. Puis mon regard se perdit à nouveau, petite déconnexion de quelques secondes. J'avais l'impression d'atterrir à nouveau, et ça me faisait chier, parce que quand j'avais pas ma dose habituelle de drogue, j'étais à la limite de la dépression, et crois moi, sous cet état, je n'étais pas un compagnon agréable.
Je me rassis correctement et tendis le bras, mettant ma main sur son épaule pour la ramener contre moi, la forçant à se venir. Puis je pose ma tête sur la sienne.

« Bon, alors, franchement, comment ça va ? Du neuf ? »

Putain, j'aimais vraiment pas cette impression. C'était comme si on me balançait dans un monde inconnu, totalement, dont je ne connaissais vraiment que dal. Et puis.. je sentais mon coeur, là, dans ma poitrine, brisé en mille morceaux, et cette sensation de vide continuel qui s'emparait de moi au fur et à mesure. Ma main se mit à trembler, et j'enfouis délicatement mon visage dans les cheveux d'Aaliyah, comme pour échapper à un danger inexistant - que seul moi voyait. Et ce danger, c'était ce monde, cette vie, tout ça. J'étais incapable de me contrôler totalement, cédant aux diverses vagues de sentiments - c'était toujours ça quand je redescendais. Un passage terrible. J'voulais pas. J'voulais pas être moi, j'voulais pas ce monde, cette vie, j'voulais remonter moi, remonter dans mon monde de tout le monde il est gentil, de tout le monde il est beau.

Spoiler:

Je crois que j'ai inspiré un bon coup, un air glacial mélangé au parfum d'Aaliyah, et je me suis un peu éloigné d'elle pour enfouir mon visage dans mes mains, subissant cette fois des maux de crâne indescriptibles. La voix de la rouquine me permit de me concentrer, et je cillais plusieurs fois, avant de me reprendre petit à petit, cachant les douleurs lancinantes qui s'amplifiaient, me vrillant les tempes. Je me laisse à nouveau glisser contre le banc, un bras posé sur le dossier du banc. J'observais un gamin qui lançait un frisbee avec un regard haineux - putain, comment fait-on pour être aussi heureux ? Et je tourne le regard vers la demoiselle à la chevelure de feu, avec une question qui me brûlait les lèvres depuis un moment. Je sais pas si le moment était bien choisi ou pas, mais je l'ai laissé filer sans réfléchir vraiment.

« T'es heureuse toi ? »

Les gens heureux me fascinaient et m'horripilaient en même temps. Impossible, vous dites ? Pourtant, il y a bien des personnes qui s'aiment et se détestent à en crever. C'est une barrière pratiquement inexistante. Mais Aaliyah, j'ai jamais su si elle l'était ou pas. Je sais pas, d'habitude j'arrivais à savoir, enfin, à analyser et tout, à chercher des détails qui font que, mais chez elle j'sais pas, j'ai jamais su, et j'ai jamais cherché non plus à savoir. Mes yeux ne la quittent pas, je l'observais avec une curiosité grandissante, comme si cette question était vitale. En fait, peut-être qu'elle l'était ou quoi, mais je voulais à tout prix savoir si elle l'était. Et si elle l'est, qu'elle me raconte comme c'est. Parce que si je l'ai été, heureux, moi, ben, j'ai oublié comme c'était.