« Si ça ne fonctionne pas ou que la stupidité de l’idée se confirme, vous me payerez en liquide comme convenu ». Lexie acquiesça doucement en regardant le géant devant elle. Il baissa les yeux et soupira, admiratif devant cette femme qui se tenait fièrement devant lui. Elle était sa première cliente, la première qu’il allait aider en tant que détective. Mais ce n’est pas cette fois qu’il allait être payé. En échange de ses services, elle lui avait proposé autre chose : des séances à son cabinet. Il avait ri. Comme si ça allait l’aider ! Il ne croyait pas à ce genre de conneries (il était surtout trop borné pour aller quémander de l'aide). Mais quelque chose dans son regard l’avait fait accepter malgré tout, pas la pitié -il avait appris à l’appréhender- mais une douceur qu’il n’avait pas vu depuis longtemps, quelque chose qui caressait son esprit quand elle lui souriait. Elle était fraîche, innocente, paroxysme d’une âme qui n’avait pas été touchée par les mêmes horreurs que la sienne.
Et ça faisait foutrement du bien de voir un sourire aussi rayonnant.
« Encore un effort ». Luam grimaça et marmonna entre ses dents. Plus facile à dire qu’à faire. Il s’échinait à malaxer péniblement une balle de la main gauche depuis plus d’une heure, l’avait balancée à travers la pièce plus d’une fois et l’avait lâchée tout autant.
"Je te jure que si tu lances encore cette balle à travers la pièce, je ... Tu me comprends". Luam rigola (
un son rare, appréciez), elle était incapable de proférer des menaces même lorsqu'elle prenait cet air colérique adorable.
« Arrête de rire et concentre-toi ! Nom de dieu, tu es le patient le plus têtu que j'ai jamais eu. Et en plus tu te moques de moi ! J'aurais mieux fait de me taire quand je t'ai proposé cet arrangement le premier jour. » Son sourire était un délice qu'il appréciait sans modération.
Quand on avait annoncé à Luam que sa main gauche était foutue (
elle avait été broyée dans l’explosion), il l’avait accepté. Il avait perdu l’usage de sa main en même temps que deux de ses soldats, il s’était dit chanceux. Mais le retour à la réalité avait été différent, les difficultés s’étaient accumulées. Une main hors-jeu et une jambe qu’il traînait encore de temps en temps et qui ne lui permettait plus d’effort physique intense comme il en avait eu l’habitude.
Borné, il avait refusé une aide extérieure. Et puis Lexie s’était pointée et avait tout chamboulé. Il était allé à la première séance à reculons, mais force avait été d’admettre qu’après la première séance sa jambe allait mieux. Ça n’avait pas été une amélioration spectaculaire, mais un mieux non négligeable. Ils avaient continué les séances ; il avait apprécié ses gestes doux, sa compréhension et surtout le fait qu’elle ne pose pas de question sur ce qui lui était arrivé. Elle n’avait pas cillé lorsqu’elle avait vu son dos défiguré.
Lexie le fascinait.
Tout en elle s’opposait à la violence qui le hantait. Sa voix. Ses yeux. Les traits de son visage. Ses courbes. Non, il n’était pas assez idiot pour louper ça et était encore doué de la raison et du bon sens : il savait encore apprécié une belle femme. Ça faisait bien longtemps qu’il n’avait pas regardé une femme comme il la regardait elle. Il avait bien eu quelques aventures, mais rien qui n‘engageait un lien de confiance comme il entretenait avec Lexie.
Un lien qui, après un an et demi, s’était renforcé. Au cours de ses séances, il s’était confié à elle avec une aisance qui l’avait surpris. Il lui avait tout raconté : son engagement après la mort de sa petite amie à l'âge de dix-huit ans, ses années de servitude où il avait vécu une vie loin de celle qu'il avait espéré, son partenariat houleux qui l’avait encore une fois conduit à une déception vis à vis des relations de confiance, l’horreur de la guerre (qu’elle n’avait vu que physiquement sur son corps) …
Parfois, il se disait même qu'accepter ce deal avait été la meilleure chose qui lui était arrivé depuis bien longtemps.
Qu'est-ce qu'il peut bien espérer de cette confiance établie ? Lexie n'est que son médecin et il ne l'a jamais vue en dehors de leur séance hebdomadaire. Il ne sait rien d'elle et pourtant ... pourtant son image l'envoûte, inlassablement, entêtante. Luam refuse de croire que la fascination s'est transformée en un sentiment quelconque. Il ne sait plus rien des sentiments humains, il n'en connaît plus que les vagues souvenirs entachés de douleur et de souffrance.
En un an et demi, le seul avancement de leur relation s'étalait comme une confiance réciproque et des sentiments indéterminés. A plusieurs reprises il a essayé de l'inviter à sortir, mais il s'est toujours ravisé. Il ignore de son côté ce qu'elle peut ressentir à son égard, préférant s'enticher d'une image plûtot que d'affronter une situation qui le mènerait à une nouvelle vague de souffrance.