Il aimerait tellement ne pas avoir à faire ça. Quel intérêt ? Passer voir le médecin une fois par semaine, ça ne l’aidera jamais à retrouver sa mobilité d’antan. Jamais. Alors pourquoi continue-t-il à aller à ce fichu rendez-vous, chaque semaine depuis des mois maintenant. C’est inutile, voilà ce qu’il se répète à chaque fois qu’il s’apprête à passer la porte du cabinet dans un long soupir. Voilà, il va passer une heure de pseudo rééducation, il va galérer, il va avoir mal et n’aura jamais la chance de pouvoir un jour remarcher correctement.
_ « Mr Daniels ? Comment se porte la douleur ? »
_ « Ça vient, ça part, pourquoi ? »
_ « Parce que c’est mon travail de le savoir. Je vais vous prescrire une boite d’antidouleur.. Vous allez voir le psy que je vous ai conseillé ? »
_ « J’ai pas besoin de psy. »
_ « Oui, mais le docteur.. »
_ « J’en ai pas besoin. » répète t-il un peu plus fort.
Le médecin n’insiste pas. Arni se rhabille, il se tient prêt à partir. Peter sera là pour le prendre d’une minute à l’autre. Il ne veut pas le faire attendre. Ces rendez-vous, où Peter passe le prendre pour l’emmener en ville, là où ils vont traîner, discuter. C’est peut-être pour ça qu’il continue d’aller chez le médecin, parce que c’est une routine, et aussi parce que y’a son pote pour l’y forcer. Ouais, c’est peut-être ça. Puis l’occasion qu’Alma vienne s’incruster dans l’affaire.
Il patiente. Une heure passe presque. Peter ne répond pas. C’est chiant. Arni, il ne veut pas rester là, et le médecin l’a trop crevé pour qu’il tente de rentrer à pied. Le taxi, c’est pas la peine. Il sort son téléphone.
_ « Ouais, c’est Arni. Tu peux m’rendre un service ? je voudrais pas abuser – un silence se passe, on perçoit une voix au téléphone. -  Tu peux passer m’prendre à l’hôpital. J’ai personne pour me ramener. » Il se sent un peu minable à demander ça comme ça, ça le gêne, il aime pas déranger. Mais Peter est pas là et lui ne peut pas rester là.
Il attend, la voiture arrive t s’arrête devant.
_ « Salut ! Je te remercie d’avoir fait vite, j’suis désolé, j’avais personne d’autre à appeler. » - explique tout en mettant sa ceinture. – « Je m’excuse si t’étais au milieu d’un truc, en tout cas c’est sympa. »

Il se sent drôle, assis dans la voiture de Terry, une impression difficilement descriptible. Déjà, et ce même s’il lui assure du contraire, Arni a grandement l’impression d’avoir dérangé. Remarque, quand il ne s’agit pas de Peter, il a le sentiment de déranger tout le monde, jusque-là, rien de weird. Mais c’est aussi que, cela fait au final très peu de temps qu’Arni travaille au garage et qu’il connait Terry, et donc il éprouve une certain gêne à lui demander un service, ça lui donne une impression de brusquerie. Evidemment, on reste d’accord que c’est juste dans sa tête. Il n’a juste pas encore saisi la personnalité de son collègue, plutôt réservé, bien qu’il jugerait parfois être témoin de scène de franche sympathie et qu’au final, malgré qu’ils ne se connaissent pas, rien n’empêche l’entraide.
D’ailleurs, il arrête de se prendre la tête avec toutes ses questions au moment où ce dernier lui dit qu’il n’y a pas de grand problème. Il n’insiste pas, il croit, voilà tout.
_ « Je bêchais la terre pour le potager de ma grand-mère, ouais. » - voilà, un sourire, c’est ça les fameux moments de sympathie - « Mais t'sais, elle était tellement contente que quelqu'un ait besoin de moi que c'est tout juste si elle m'a pas poussé dans la voiture. »
Arni sourit en l’imaginant se faire botter l’cul pour venir ici le plus rapidement possible. Il rit un peu, parce que c’était censé être drôle, sans réussir à y ajouter quoi que ce soit.
_ « Elle a l’air drôle ta grand-mère » parvient-il à glisser sans trop de conviction, juste pour que Terry ne pense pas que ce qu’il dit n’est pas intéressant. Mais à vrai dire, ce dernier est plus occupé à pester contre les autres voitures, ce qui là, fait pas mal marrer Arni, c’est toujours drôle de voir les gens au volant et en colère.
_ « T'y étais pour quoi exactement, là-bas ? » La question qu’il redoutait un peu, parce qu’il lui faut expliquer. Bien que maintenant, il ait pris l’habitude que beaucoup de monde raconte son histoire à sa place, ce qui donnait pour résultat plein d’élan de pitié qu’Arni ne pouvait pas gérer. Il apprécie fortement que la question lui soit posée, directement.
_ « Je fais de la rééducation, pour ma jambe. J’ai eu un accident, y’a deux ans. T’as du en entendre parler de tout façon. Je veux juste que le médecin me juge apte à pouvoir prendre le volant, et peut-être à reprendre le sport à niveau amateur. Mais, pour l’instant, il est sceptique. Je suis sûr qu’il veut juste continuer à m’voir morfler sur ses machines. » dit-il en riant, parce que la pire des choses, ce serait d’avoir l’air de s’apitoyer sur son sort. Non, pour se plaindre, il a le psy. Les amis, c’est pas fait pour ça.
_ « Mais dis-moi, t’es sûr que ça dérangeait pas ta grand-mère ? Je peux venir t’aider avec son jardin, comme ça, ça rattrapera le temps perdu à venir me chercher, puis je fais rien ce soir, alors c’est cool pour moi. » dit-il, parce qu’il se sent redevable, et aussi pour changer de sujet un peu.
_ « Sauf si tu as des projets pour toi, je proposais comme ça, enfin si jamais tu as besoin d’un coup d’main. » dit-il vec l’impression de devoir se rattraper un peu.

_ « Elle est drôle, ouais. » Et c’est avec cette simple affirmation qu’Arni commence à imaginer la vieille dame selon ce simple trait de caractère que Terry vient de lui donner : drôle. Ce qui peut vouloir dire beaucoup de chose en soi mais de la façon que s’est dit, elle a juste tout l’air d’un sacré personnage. Arni, il se plait à imaginer la vie des gens, le quotidien, le privé, l’entourage. Comme un gosse, et oui.
_ « Tu devrais aller jeter un coup d’œil à sa boutique, ça aussi c'est drôle. »
_ « Oh ? Une boutique de quoi ? Jardinage ? » Il suppose comme ça, parce que Terry en parlait tout à l’heure, mais il n’en a aucune idée, mentalement il fait l’inventaire de toutes les boutiques qu’il connait, sans pour autant en voir une avec une femme âgée au comptoir. Bon après, les boutiques d’Arni c’est, fast-food, jeux-vidéo et vidéoclub, donc ce n’est pas représentatif du touut. « J’y ferais un tour alors, ça me fera sortir un peu, puis si tu dis que c’est drôle. »
Une discussion assez courte, voir banale, mais qui avait le mérite d’occuper le temps tandis que le garagiste tente de s’insérer pour sortir du parking. Quand il voit la cohue autour d’eux, Arni ne peut s’empêcher de se sentir un peu coupable, il aurait au moins pu lui donner rendez-vous un peu plus loin, histoire de ne pas être coincée ici. Mais bon, toute cette culpabilité s’efface un peu pour laisser place à l’amusement quand Terry commence à s’énerver. Il ne devrait pas, mais Arni rit. En fait, Terry est vraiment amusant, et d’autant plus quand il se met à parler à la conductrice derrière comme si elle était avec eux. Non, en fait Arni a bien fait, il trouve ce moment vraiment fun.
_ « Désolé »
_ « Oh t’excuses pas, au volant c’est autorisé d’insulter les gens. » Non, en fait, il n’en avait aucune idée, mais lui aussi s’agaçait vite quand il conduisait, de même que Peter quand il conduit, de même que maman, avant, de même que tout le monde. Ouais, Arni, il est sûr qu’il y’a un accord tacite comme quoi, on a le droit d’être vulgaire au volant. C’est sûrement même écrit dans le code de la route, quelque part. « Allez, tout va bien maintenant. On est sortie de là. »
Le temps est donc venu de changer de discussion, non pas que se moquer de la nana derrière et de ses grimaces de colère aurait déplu à Arni, mais Terry a changé le cours en posant une autre question à laquelle il s’attendait, une question à laquelle il répond naturellement. Un jour où l’autre, Terry saura t’façon, c’est pas comme si son état pouvait être caché.
_ « On sait bien que les médecins sont sadiques. » Arni sourit. Comme si Terry avait sorti une bonne réponse en ne poussant pas la question plus loin, pas que ça le gêne, il est habitué, mais comme ça, il a juste le sentiment que son collègue – et maintenant ami, ça il l’a décidé – le respecte suffisamment pour vouloir savoir sans être intrusif dans sa vie, et ça c’est bien.
_ « Ouaiiiis. Non mais, je sais pas si sa façon de faire est vraiment adéquat, Je sais pas si t’as déjà connu, le sentiment de pas progresser, t’sais t’en as besoin et finalement la personne payée pour t’aider, bah elle fait que dalle, elle est juste là à te voir de démerder comme un con, pis toi t’es là, à stagner. » explique t-il un peu brièvement. On peut pas dire qu’il ait le sens de la métaphore. « Enfin, en attendant je fais ça, puis je changerais si ça va pas. Tant que je marche, on va pas s’plaindre. » termine-t-il dans un élan de rire, comme si ce qu’il vient de dire est effectivement drôle.
Finalement, il préfère changer de sujet en s’incrustant chez Terry ce soir, parce qu’il a envie d’aider et de dire merci, mais qu’il ne sait pas comment. Et Terry dit oui, et parle, de sa grand-mère principalement. Alors que d’ordinaire, il n’aligne qu’une phrase pour parler de boulot, là Terry parle et Arni se sent entouré. C’est très sympa. Plutôt court aussi, car Terry reprend froidement. « Je suis le mec qu'a le moins de projets au monde. » Une phrase plutôt triste. Même Arni avait des projets, alors qu’il n’était pas vraiment le genre à planifier quoi que ce soit. Il ne sait pas quoi répondre. Il se retient surtout de dire un mot de travers. En observant Terry au volant, il s’demande même si celui-ci a des amis. Lui, il a Peter, mais Terry il a qui ?
Il reste silencieux un moment, avant de dire.
_ « Si tu veux, j’ai prévu de m’faire un marathon Star Wars ce week end, tu voudrais v’nir ? Y’aura des chips. »