Une semaine. Une semaine que j’ignore du mieux que je peux les messages de Sydney qui ne cessent de s’afficher sur ma tablette tactile. Une semaine qu’on s’est quittés de manière un peu brusque au Starbuck de White Oak. Une semaine que son visage ne cesse de me hanter nuit et jour et une semaine que je m’en veux d’avoir réagi comme ça.

Je n’ai pas envie de me trouver des excuses, c’est pas ce que je cherche à faire mais ça fait plusieurs années que les amis de mon frère viennent m’emmerder juste pour le venger. J’ai appris à vivre avec mais là c’était trop pénible. J’étais avec une fille qui me plaît énormément et il fallait qu’ils apparaissent exactement à ce moment là. Dans le fond, je sais que Sydney voulait juste m’aider et prendre ma défense mais comment dire que c’est quand même assez humiliant que c’est une fille qui doit parler à ma place pour qu’on se débarasse de gros lourds. J’ai beau être plus sensible et attentionné que les autres mecs de mon âge à cause de mon handicap, j’ai quand même un minimum de fiérté et celle-ci en a pris un coup.

Et mon seul moyen de défense a été de fuir et de l’ignorer. Même si je lisais chacun de ses messages et que j’essayais de l’espionner en douce pour la voir entrer à l’hôpital ou dans le studio de danse. Je m’en veux, vraiment. Et je crois qu’après une semaine à me terrer chez moi et à ne pas répondre à mes messages, il est temps de sortir. Sydney mérite des excuses. Je tiens beaucoup à cette fille, j’ai pas envie de tout gâcher.

En me levant ce matin, j’avais cette impression de boulet dans l’estomac. Si bien, que je n’ai pas pu avaler quoi que ce soit à part mon jus d’orange. J’ai fait un saut sous la douche, profitant de la chaleur de l’eau pour essayer de me détendre, avant de finalement m’habiller pour quitter mon petit studio pour me rendre dans la boutique BIO de la ville. J’ai acheté des macarons et ma limonade préférée. Le vendeur est super gentil, il m’offre toujours des bracelets tressés ou des fleurs fraichement cueillies. Comme quoi, il y a quand même des gens qui n’ont rien contre la différence. Enfin bref. Je suis rapidement retourné chez moi pour éviter de croiser des personnes qui s’en prendraient à moi et j’ai pris ma tablette tactile pour envoyer un message à Sydney. « Ne sachant pas où tu habites, passe chez moi ce soir. » Suivi de mon adresse et de mon prénom. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’elle allait mettre sa rancœur de côté et accepter de venir chez moi.

Pourquoi faut-il toujours qu'ils profitent de ce moment où je reviens chez l'un ou chez l'autre, seul moment où ils se croisent dans la semaine, pour continuer à se crier dessus ? Ne l'ont-ils pas fait assez avant ou lors du divorce ? Je soupire, enfermée dans ma chambre, écouteurs enfoncés dans les oreilles avec la musique à fond. Je suis sûre de ne plus les entendre au moins. Allongée sur mon lit, je regarde rapidement mon portable avant de le reposer près de moi sur ma couette et de fermer les yeux.

Cela faisait une semaine que j'essayais désespérément de reprendre contact avec Milan. Il faut dire qu'on s'est quittés un peu précipitamment au Starbucks la dernière fois et je me demande toujours ce que j'ai pu faire ou dire pour qu'il m'ignore et ne veuille plus me parler. L'idée qu'il n'ait pas apprécié se faire défendre par une fille alors que des amis de son frère jumeau s'en prenait à lui m'a bien traversé l'esprit, mais je ne comprend pas. Je ne supporte pas l'injustice et qu'on s'en prenne à quelqu'un comme ça, je recommence peu à peu à m'affirmer et je ne peux pas laisser passer ça devant moi sans rien dire. Je n'avais même pas retenue ma réaction, c'était sortie tout seul, je n'avais même pas dans le but de défendre réellement Milan. Je voulais juste que ce type parte loin de nous et nous laisse continuer à discuter tranquillement, car tout se passait super bien avant qu'il n'arrive avec ses potes. Les garçons entre eux sont de vrais mystères.

Je sursaute légèrement et rouvre les yeux après avoir sentie mon portable vibrer contre ma main. La musique assourdissante dans mes oreilles ne m'a pas empêchée de m'endormir pendant - je tourne le regard vers mon réveil – deux heures ! Eh bien, j'enlève mes écouteurs et tend l'oreille. Aucune dispute ne se fait entendre, mon père a du enfin repartir chez lui. Je m'étire en baillant allégrement avant de prendre mon portable pour consulter mes messages. Plusieurs émotions me traversent quand je vois que j'ai un message de Milan. Surprise, joie, appréhension et impatience. J'ouvre et lis rapidement son message avant de sourire. Si je ne me retenais pas, je ferais presque un petit pas de danse, heureuse qu'il veuille de nouveau me parler. Et surtout qu'on se voient de nouveau, vu qu'il vient de m'inviter chez lui. Je regarde rapidement sur mon ordinateur où se situe son appartement grâce à l'adresse avant  de lui répondre « ça marche, j'arriverais vers 20h ! » et d'aller me préparer.

Passant sous la douche, je file ensuite m'habiller et dompter mes cheveux les laissant libre avant de prendre mon sac, rajoutant quelques babioles à l'intérieur. Sortant de ma chambre, je descend l'escalier et passe par le salon, prévenant ma mère que je m'absente et que je ne sais pas combien de temps ça durerait. Et bien sûr, ça ne loupe pas, depuis mon arrestation j'ai le droit à toutes les questions possibles et inimaginables. Je lui laisse l'adresse de Milan et lui assure 28 fois que mon portable sera toujours allumé avant de quitter la maison en soupirant. Ce n'est pas maintenant qu'il faut redevenir une maman poule. Peut-être suis-je devenue un peu trop dur avec mes parents, mais je n'ai pas vraiment apprécié d'avoir eu à endurer leurs disputes incessantes.

Je marche tranquillement le long des rues, en direction de l'appartement de Milan que je trouve finalement après une bonne vingtaine de minute de marche. Je me glisse derrière une personne qui rentrait dans l'immeuble avant de chercher le nom de Milan sur les boites aux lettres pour retrouver le numéro de porte. Je grimpe quelques marches avant d'atterrir devant sa porte. Je suis un peu nerveuse. Ça fait une semaine et on s'est quittés sans être en trop mauvais termes, mais sans qu'ils ne soient excellents non plus. Je regarde la sonnette et me demande comment fait-il pour savoir que quelqu'un attend à sa porte en vu de sa surdité. Je sonne néanmoins, peut-être que la sonnette est reliée à un mécanisme spéciale visuelle pour qu'il le sache ? Je patiente devant la porte, mes mains se tordant entre elles, nerveusement.

« ça marche, j'arriverais vers 20h ! » Je souris bêtement en voyant ce nouveau message s'afficher sur ma tablette tactile, puis je jette un oeil à l'horloge qui m'indique qu'il me reste plus d'une heure pour préparer quelque chose à manger. J'espère que Sydney n'a pas encore dîné parce que sinon j'aurais l'air malin. Il faut que je fasse quelque chose de facile et rapide alors je me mets à fouiller dans mes placards. Je trouve finalement de quoi faire une tortilla. C'est pas grand chose mais au moins j'aurais quelque chose à proposer à Sydney lorsqu'elle arrivera. Une fois que j'ai préparé tous mes légumes et les oeufs, je file à la salle de bain pour me doucher et enfiler un pantalon et un t-shirt blanc laissant apparaître mes hirondelles sur mon torse. J'ai pas fait la lessive, faudra donc s'en contenter. Je ne cesse de jeter des coups d'oeil à l'horloge car Syndey m'a dit qu'elle viendrait pour vingt heures et je ne voudrais pas me laisser rattraper par le temps et qu'elle doive attendre dehors. Je retourne derrière mes casseroles et fait gentiment cuire le mélange de légumes et d'oeufs pour que ça forme une tortilla bien ronde. A part de dix neuf heures cinquante cinq je vais toutes les trente secondes à la porte pour m'assurer que Sydney n'est pas encore arrivée. Je ne veux vraiment pas qu'elle attende bêtement devant la porte. Je retourne ma tortilla qui est cuite d'un côté puis quand je retourne à la porte, je découvre la jeune femme de l'autre côté. Je prends une profonde inspiration et ouvre la porte avec un léger sourire sur les lèvres.

Comme toujours, Sydney est magnifique. Elle m'épate avec son naturel, elle n'a pas besoin de trop se maquiller ni de s'habiller de manière exagérée pour attirer mon attention. C'est affreux comme j'ai le coeur qui s'emballe quand je la vois. Ca peut avoir l'air "cheesy" dit comme ça mais c'est la vérité. Je lui fais signe de rentrer, me sentant quand même un peu mal à l'aise après ma semaine de silence. Elle a dû se poser mille et une questions, peut-être même qu'elle me déteste et pourtant... Elle est quand même venue ce soir. Je referme la porte derrière elle, prend sa veste lorsqu'elle la retire pour la poser sur le dossier du canapé/lit. Il faut dire que j'habite un studio donc c'est dur d'avoir une penderie dans l'entrée. Je passe à côté d'elle et me penche vers son visage pour l'embrasser sur la joue. Je lui demande en langage des signes comment elle va avant de traduire. « Tu vas... Bien...? » Je répète mon geste pour qu'elle puisse le mémoriser, elle qui voulait apprendre deux ou trois mots dans ma langue.

Je n'arrive toujours pas à croire que Milan m'a envoyé un message pour m'inviter à passer chez lui ! Après le silence radio de son côté pendant une semaine, malgré mes tentatives de contact, j'avais cru qu'il ne voulait plus jamais entendre parler de moi. En bref, j'étais vraiment contente, mais aussi nerveuse, j'appréhendais de le revoir. Surtout que cela avait fait bien longtemps qu'un garçon ne m'avait pas autant plus dès le premier contact. Si seulement il pouvait y avoir plus de garçons comme lui à l'université et pas de ceux qui profitent et influencent. J'aurais sans doute eu moins de soucis. D'ailleurs il faudra vraiment que je me rebooste pour retourner suivre des cours à l'université. Je n'en ai toujours pas eu le courage. Mais pour l'instant, ce n'est pas le sujet. Laissons de côté les mauvais souvenirs.

Je prends mon temps pour me préparer, m'habiller, réunir quelques affaires que je met dans mon sac et descend les escaliers. Je réussi l'épreuve de la mère inquiète et qui veut connaître tout mon emploi du temps, mes fréquentations et quitte finalement la maison. J'arrive finalement devant l'immeuble, me faufile derrière un habitant et trouve rapidement le numéro d'appartement de Milan. Je souffle pour me donner un peu de courage et prie pour que tout se passe bien. J'espère qu'il ne m'a pas fait venir juste pour me dire qu'il faut que j'arrête de le contacter comme une forcenée. J'hésite à utiliser la sonnette, mais j'avais déjà vu des systèmes basés sur le visuel pour les malentendants, leur permettant de savoir si une personne attendait ou non. Peut-être en était-il doté d'un ? Je sonne et attend patiemment devant la porte. Et c'est rapidement que je vois la porte s'ouvrir sur le jeune homme.

Je lui adresse un grand sourire sans même y avoir réfléchi. J'étais réellement heureuse de le revoir. Des souvenirs remontent et j'arrive à lui dire bonjour en langage des signes, il faut dire que j'ai regardé quelques vidéos pour me familiariser, même si je loin, très loin de savoir le parler et le comprendre. Je le suis et enlève ma veste avant de la lui donner. Je jette des petits regards furtifs un peu partout, observant son habitat. Je rêverais d'habiter seule, indépendante. Je dois être un peu surprise lorsqu'il m'embrasse sur la joue, mais je fais de même, contente. Il n'a pas l'air de vouloir me jeter rapidement dehors après m'avoir fait comprendre que j'avais envoyé bien trop de message. Il se met à signer et je regarde ces mains consciencieusement avant de l'entendre me traduire le signe. Je reproduis deux trois fois le signe avant de relever la tête vers lui. Je hoche positivement. « Oui très bien, je suis … contente que tu m’ait proposé de venir... » Et sans mentir. « ...et ça fait vraiment du bien de changer d'air. » Mes parents m'avaient un peu agacés aujourd'hui. « Je suis vraiment contente de te revoir. Comment vas-tu ? » Une odeur agréable provenant de la cuisine vient chatouiller mes narines et je hume doucement l'air. « ça sent super bon ! Tu cuisine quoi ? » J'aurais du ramener quelque chose à grignoter, je me sentais un peu idiote à venir les mains vides.