~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
Ma vie au lycée était assez simple. Souvent dans l'ombre de mon jumeau, je ne m'exprimais pas beaucoup. On ne m'aimait pas particulièrement, mais on ne me détestait pas. Mon cercle social se constituait de deux amis proches et de mon frère. Point. Mais ça me suffisait. J'étais bon à l'école. J'avais des bonnes notes partout. Tous les ans, mes professeurs commentaient en me demandant d'être plus actif. J’acquiesçais, puis ils le notaient de nouveau l'année d'après. C'était simple. Je faisais juste ce qu'on me demandait. Ce que mes parents me demandaient. J'étais cet enfant parfait que Lysandre n'était pas. Il vivait pour moi. Et moi je vivais pour nos parents.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
J'aime ma liberté. J'aime ne plus sentir le poids des chaines accrochées à mes chevilles. Pourtant, je ne peux pas dire que je suis heureux. La mort de mon frère m'a détruit. Tué un homme m'a achevé. J'ai parfois l'impression qu'il n'y a plus rien en moi. Que mon coeur est mort à jamais. Et lorsque cette pensée me traversent l'esprit, ils débarquent pour tout bouleverser. isi et lyoka. aujourd'hui, si j'étais heureux, ce serait grâce à eux.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
ailleurs. avec eux si possible. j'aimerais voyager. découvrir pleins de pays. je ne sais pas. peut être que je serais en prison dans dix ans après tout. non. le seul truc que je veux, c'est être avec eux. je me fiche de l'endroit tant qu'ils sont là pour me soutenir.

C’est comme un océan de lumière. Ca scintille. C’est beau. Tellement beau. J’aurais aimé passer ma vie ici. Avec lui. Juste lui et moi. Ça aurait été tellement magique. Perdu dans l’intemporel. Egaré dans ces rêves sans limites et sans règle. Oui. J’aurais aimé ça.
Un sourire s’affiche sur mon visage alors que la voix grave enregistrée retenti dans la salle vide. Les étoiles défilent devant nos yeux d’enfants. Et je m’envole. « Nous voilà face à la constellation des gémeaux dont les deux étoiles les plus brillantes ont été nommées Castor et Pollux par les Romains ». Ma préférée. Tendrement, mes doigts viennent se mêler à ceux de mon frère. Nous ne sommes qu’un. Lui. Moi. Nous. C’est tout l’univers qui nous fait face pour contenir cet amour inconditionnel que nous nous portons. « C’est la nôtre celle la … » Je souris, relevant mes yeux vers lui afin de déposer un baiser sur sa joue. « Je t’aime Lys ». Et il sourit. Lui aussi. J’aime son sourire.

« Vous êtes encore là les garçons ?! » Je me redresse en entendant la voix grave de mon père. Les lumières du planétarium se rallument et les étoiles disparaissent. Brusquement, nous revenons sur terre. C’est presque douloureux. J’aurais voulu voguer encore un peu dans les étoiles. Rester loin de la réalité. J’aime pas la réalité. L’imaginaire est tellement plus beau. « Votre mère vous appelle pour aller manger ».

« Mon Dieu ! Lysandre ! Qu’est-ce donc cette coupe de cheveux ?! » J’aime ses cheveux moi. Aussi brun que je suis blond. Au moins, on nous distingue maintenant. Mère n’aime pas. C’était à prévoir. C’était probablement l’un des arguments de Lys pour les faire teindre d’ailleurs. Mettre Mère en colère semble être devenu l’une de ses passions. « Quelle honte ! Souiller de si beaux cheveux blonds ! » Sa main vient se glisser délicatement dans mes cheveux. Mes cheveux d’ange. Selon ses mots. « Heureusement que Kapi n’est pas comme toi ! » Je le regarde. Et je lis la colère dans ses yeux. Mais je ne dis rien. Parce que je ne dis jamais rien.

Je regarde un instant mes doigts. Mes doigts rouges. Je ne veux pas comprends. Je ne veux pas réaliser. Les larmes coulent par centaine sur mon visage maculé d’hémoglobine. Des sanglots s’échappent de ma poitrine alors que j’observe le corps qui me fait face. Le visage de l’homme est désormais peu reconnaissable. Résultat de multiples coups contre le béton froid de la ruelle. Son corps, quant à lui, n’est pas en meilleur état. Transpercé de centaine de coups de couteau. Mon regard est comme abordé par le spectacle morbide. Puis je réalise. Je réalise que j’ai fait ça. Que je l’ai tué. Assassiné. Je tremble. Je tremble de tout mon corps lorsque je lâche le couteau qui orne encore ma main dans un bruit métallique. Je ne voulais pas. Je ne voulais pas faire ça. Mais il ne pouvait pas vivre. Pas après ce qu’il avait fait.

Le regard vide, je me lève. Je laisse là ce corps sans vie pour retourner auprès de ma moitié. Ma main poisseuse vient passer délicatement sur ce visage si semblable au miens. Les larmes tracent des sillons sur mes joues rouges et mon corps est sans cesse secoué de sanglots. Il l’a tué. Mon jumeau. Mon âme sœur. Et avec lui, c’est mon âme qui s’envole. C’est cette innocence qu’il aimait tant chez moi. « L…Lysandre … J…Je t’ai…t’aimerais…tou…toujours… ».

J’ai envie de m’envoler. J’ai envie de le revoir. J’ai envie de pleurer. J’ai envie de crier. Et malgré toute cette douleur. J’ai envie de vivre. De vivre libre. Alors je suis parti. Je me suis enfuie. Je l’ai tué. Cet homme. Il est mort à cause de moi. Je ne pouvais pas rester et me faire emprisonner. La vie est déjà assez dure sans lui. La vivre en cage est simplement impensable. Alors je cours. Je cours vers la liberté.

Le froid est pénétrant. Il s’insinue partout. Je sens ses lames gelées transpercés mon corps ankylosé. Cela fait des jours et des jours que je fuis le plus loin possible de chez moi. J’ai pris la carte d’identité de mon frère. Je ne sais pas vraiment pourquoi. J’espère quelque part que cela me protégera. Peut-être que je veux vivre pour lui. Abandonner Kapi pour devenir Lysandre. Tout ça parait tellement plus simple. Lysandre est plus fort. Plus courageux. Pourtant, après des jours à fuir, le courage parait bien dérisoire. J’ai peur. La fatigue se lit sans peine sur mon visage sali par ces jours de fuite. C’est à l’instant précis pour je m’apprête à éclater en sanglot à cause de cette accumulation de sentiments que je la vois. Cette petite maison de bois abandonnée. Elle ne paye pas de mine. Pourtant, elle est ce petit rayon de soleil que j’attendais. Ce soir, je dormirais au chaud. Au coin du feu. Cette simple pensée me remplit de joie.

Finalement, j’y ai trouvé plus que du feu. Une chaleur bien plus agréable. Et qui ne s’éteint jamais. Je l’ai trouvé lui. Isidore. J’aime bien son prénom. C’est original. Puis c’est mélodieux. Isidore. Ça sonne bien. J’ai eu peur quand je l’ai vu. Il était là. Une ombre parmis les ombres. Puis, il est devenu lumière. Devant moi, il s’est illuminé. Je ne sais pas pourquoi, mais il a gagné ma confiance en quelques minutes seulement. Ce sentiment indescriptible. Celui de la sécurité. J’étais fatigué d’être seul. Sa présence était un baume. Alors je l’ai suivie. Sur la route de l’inconnu des lettres. J’ai trouvé ça magique. Ce système. L’inconnu des lettres. C’est beau. C’est tout à fait lui.

On l’a finalement retrouvé. Le bel inconnu. Cet oiseau tout fragile. J’ai souris en le voyant. Et j’ai su que rien ne serait jamais comme avant. J’ai su qu’à partir de cet instant, nous serions trois. Envers et contre tout. Trois êtres égarés, blotti les uns contre les autres. Isidore, moi et Lyoka. Trois garçons. C’est une évidence. Isidore à ma droite, Lyoka à ma gauche. Je ne m’endors désormais plus qu’en sentant leurs deux corps contre le mien. Ils sont mon évidence. Ils sont ma raison de vivre.