~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
Autant dire que je détestais le lycée. Non pas parce que je n’avais pas de copains, ce serait le comble pour quelqu’un qui soit aussi amical que moi. Mais je n’aimais pas étudier, et je n’aime toujours pas d’ailleurs. D’ailleurs, dés que j’ai pu détourner l’attention de mes parents pour pouvoir arrêter les études, je n’ai pas hésité une seule seconde. Je suis un mec qui ne peut rester en place, un artiste et un musicien. Autant dire que je n’ai eu mon diplôme de fin de lycée parce que mine de rien j’avais des capacités. Seulement, j‘étais plus en dehors du lycée, ou dans le bureau du proviseur qu‘en cours. Certains professeurs ne me connaissaient même pas ! Aussi, mes parents me voyaient déjà chirurgien, ou dans la médecine. Comment leur avouer que les malades m’effraient ? C’est bien pour cela qu’entre mon père et moi ça n’a jamais été tout rose, mais j’ai fait avec et c’est très bien ainsi.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Depuis que j’ai quitté le lycée, je dirais que je me sens mieux et bien libre. Je fais ce que je veux, quand je veux et où je veux. Je n’ai gardé contact qu’avec ma meilleure amie, qui est restée à Montréal. Je suis partie du Québec pour cette ville car… En fait, je ne sais pas. Mais j’ai comme une vague de bien-être qui empli chaque jour mon corps. Je parle souvent avec ma mère et ma sœur au téléphone, et je fais l’effort de demander des nouvelles de mon père, mais je sais qu’un jour ou l’autre, il me reparlera. Il ne peut laisser tomber le fils prodige. J’ai dans l’optique de percer dans la musique, quel que soit le domaine. C’est dur, mais j’y arriverai. En attendant, je suis un simple animateur dans une école avec des gosses. Ça aide à remplir les fins de mois, en plus de mon boulot au bistrot du coin le soir.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
lDans 10 ans… C’est difficile à dire. Je ne me vois pas à l’apogée ultime d’une carrière dans la musique, mais déjà bien placé. Pas de gosses, car je n’en veux pas. Je trouve ça difficile d’en avoir, de les élever. Je tiens trop à ma liberté et je ne veux pas être déçu comme mon père l’a été pour moi. En couple, ou célibataire… Peut-être les deux. Je plais, et j’aime plaire. Difficile de se voir casé alors que l’on refuse de l’être maintenant.
Une chose est sûre, c’est que je réussirais coûte que coûte et seul l’avenir me le dira!

« Qui es-tu pour me parler sur ce ton!? » «  Ton fils ! » s’exclama-t-il lors d’une énième dispute avec son père. Leur relation n’a jamais été aussi mauvaise que depuis l’annonce d’Emrys à ses parents. Il voulait arrêter ses études, partir loin de Montréal et vivre de la musique. Mais la vie ne marchait pas ainsi, il fallait un minimum des bases pour avancer ou pour rebondir, il le savait mais était têtu comme une mule. Ce n’est pas que son père s’opposait à sa passion, ni même à ses choix mais le jeune homme était allé trop loin. Ni l’un, ni l’autre n’avait tort ni même raison d’ailleurs. La chose qui faisait mal dans cette situation, c’était de voir un lien qui avait été si fort à une époque, se détruire petit à petit et chaque jour. Et cela, depuis que le jeune homme était entré au lycée. Mais que pouvait faire son père ? Il n’aimait pas étudier. « Justement, un fils se doit d’obéir, et non de répondre comme un sauvage ou de me dire des âneries tels que : je veux arrêter mes études! » Quand Emrys le lui avait annoncé, son père faillit s’étrangler. C’était juste impensable de se dire que son enfant veuille arrêter ses études alors qu’il avait des facilités dans toutes les matières, et qu’il avait tout de même des bonnes notes sans réellement ouvrir un cahier… Dur de voir la réalité en face surtout. A croire que son père préférait avoir un fils malheureux, qu’un fils heureux… Emrys détestait étudier, détestait être assis sur une chaise à écouter un professeur, à noter des choses inutiles. Sincèrement, qui s’intéresse réellement que la longueur total de nos vaisseaux sanguins fait environ 160 000 kilomètres? Et puis, son père espérait grandement qu’il travaille dans le médical mais en bon hypocondriaque qui se respecte : Emrys a peur des hôpitaux et surtout des malades.

« Tu n’as pas le droit de me laisser comme ça… » cette voix féminine et vraisemblablement triste résonne encore dans a tête à ces jours. Il se souviendra toujours de l’annonce de son départ à sa meilleure amie. Mais il ne pouvait plus vivre dans cette ville, il voulait partir. Seulement, elle ne comprenait pas et ce départ soudain et ce choix de destination. Alberta… Ce n’est pas l’endroit où l’on ira tenter sa chance dans une carrière dans la musique!  « Et pourquoi là-bas ? A Montreal, il y’a pleins de moyens de … » il lui mit son doigt sur sa bouche, pour l’empêcher de parler, de continuer. C’est qu’elle avait presque réussi à le retenir. Mais il avait vingt-et-un an, et depuis ses dix-sept ans, il se retient de s’en aller : pour elle. « On se verra encore, si c’est ça qui te fait peur. J’ai acheté un appartement où il y a de la place juste pour toi, tu te rends compte? » Elle ne semblait pas convaincue. Ou elle ne le voulait pas, du-moins. Aujourd’hui encore, il a l’image de ses yeux empli de désespoir et d’obscurité qui se plongent dans les siens. Qui, quant à eux, n’étaient remplis que d’espoir et d’impatience.
Emrys voulait juste partie, s’en aller et faire sa vie. L’oppression que mener son père l’étouffer, il voulait respirer :de l’air. Et puis, que ferait-il à Montréal? Sa meilleure amie étudierait dans son école de commerce, pendant que lui… Pendant que lui ne ferait rien, comme c’était le cas depuis qu’il avait quitté le lycée. Et le jeune homme ne voulait pas être sédentaire. Quoi de mieux que de partir, à ce moment là?

« Alors, mon chéri? Comment ça se passe? » « Bien, maman. » Bien, le mot était faible. Il n’osait pas dire que tout était parfait, que c’était plus que bien. Que c’était trop bien. Il avait réussi à se dénicher un travail dans l’animation pour les enfants, et gagnait plutôt bien sa vie pour le moment puis il s’était fait des relations et travaillait quelques soirs dans un bistrot de son quartier où l’ambiance était bonne et agréable. Il jouait pleinement ce qu’il avait envie, et avait des bières gratuites. De plus, son appartement n’était pas trop petit, mais il était loin du luxe qu’il avait connu. Ce n’était pas un studio, mais en le partageant, l’espace se réduisait. Surtout qu’il avait tenu sa promesse, et qu’il avait aménagé une petite chambre d’ « ami » rien que pour sa meilleure amie. Pourquoi ne pas avouer son bien-être? Parce qu’il ne voulait pas rendre mal à l’aise sa mère. Il savait qu’elle penserait tout de suite à mal. « Et papa, comment il va? » « Bien. » là aussi, le mot était faible. Parce que son père n’allait pas bien. Encore déçu mais aussi triste de voir que son fils était parti sans regret. « Passe lui le bonjour. » demanda-t-il, dans l’espoir que son père mette sa fierté de côté et prenne le téléphone. Mais là aussi, la vie n’est pas facile.
Et il découvrira bientôt que le passage à l’adulte non plus.