~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
J'étais une version boulotte de Cendrillon en quelque sorte. J'avais une méchante belle-mère, une méchante demi-soeur (méchante juste par son existence, vous vous rendez compte ? C'est juste vicieux) et un papa qui ne m'aimait plus comme il l'aurait dû. Après tout, j'étais jamais qu'une putain d'ancre à son passé et à sa femme qui n'était plus. Un poids mort bien douloureux quoi. Donc ouais, j'étais mal aimée à la maison, mal aimée à l'école parce que je faisais pas un taille 36 mais un bon 42 tout en étant haute comme trois pommes à genoux. C'était pas la belle vie. J'étais pas la fille la plus populaire du lycée. Personne me remarquait sauf pour mon poids. J'étais pas invitée aux fêtes branchées. Je rasais les murs, la tête base. Depuis, je me suis rachetée une fierté, rassurez-vous. Ainsi qu'une ligne digne de ce nom. J'ai grandi et j'ai perdu beaucoup de poids. Merci mon Dieu. La citrouille a laissé la place à l'asperge.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Je me satisfais de ce que j'ai. Le bonheur c'est jamais qu'un sentiment passé. A long terme ça laisse qu'un vide immense derrière soi. Alors non, je suis pas heureuse non mais je suis bien. C'est l'essentiel non ? J'ai une situation, je suis autonome. Je ne suis pas tout à fait celle que j'aurais voulu devenir, pas du tout même, mais j'ai réussi à devenir quelqu'un. Tout le monde ne peut pas en dire autant je crois, non ? On est bien d'accord. Alors ouais, je suis contente d'avoir obtenu ce que j'ai maintenant.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Vous savez, je vis aux jours le jour. Puis je vous rappelle que je voulais être flic. Avec un métier pareil, on évite de faire des plans sur la comète. C'est juste le meilleur moyen d'attirer la poisse sur sa personne. C'était pas sûr que je dépasse l'âge de 30 ans. Et maintenant, plus par habitude qu'autre chose, je me projette toujours pas dans l'avenir. Appelez ça déformation professionnelle ou tout ce que vous voulez. Une part de mon cerveau me voudrait mariée avec mari, chien, enfants et la jolie barrière blanche devant la maison mais elle est infime et impuissante devant le reste de moi qui est terre à terre et cartésien. Je suis pas une rêveuse, c'est tout.

East Coast.
La douce utopie de l'enfance. C'est à se demander si les enfants vivent dans le même monde que les adultes. Toute est une différence d'interprétation. Les enfants appréhendent le monde avec douceur et innocence. Ils croient que rien ne saurait leur arriver tant qu'on les aime. J'étais comme ça aussi. Flippant hein ? Et pourtant. J'avais cet amour inconditionnel pour ma mère. Je croyais que rien ne pouvait atteindre ça parce que je l'aimais et que c'était l'évidence même. Mon père aussi je l'aimais, il était gentil, un peu maladroit mais adorable. C'était ma mère le moteur de notre famille, un bien joyeux moteur. Je nous croyais inséparables, irrésistibles. J'avais tort. Terriblement tort.
Il a fallu qu'un jour on me l'arrache, de force. Un homme. Un homme malade. Un homme avec d'immenses problèmes et qui a cru que coller une balle dans la tête de ma mère sous mes yeux pourraient l'aider à se sentir mieux. Moi, je ne me suis jamais sentie mieux. Jamais. Je n'ai jamais pu oublier: les cris, le bruit, la matière grise qui dégouline sur mon visage, chaude et visqueuse. J'en fais encore des cauchemars, plus de dix ans après. On oublie jamais un truc pareil. On n'oublie jamais quand on nous brise le coeur, quand on brise notre innocence. On n'oublie jamais et on ne pardonne jamais non plus. C'était le premier coup de pelle du puit de la rage qui me ronge de l'intérieur.

Midwest.
Ca aurait pu s'arranger, me direz-vous. L'espoir fait vivre, pas long feu du moins. Non les choses sont pas rentrées dans l'ordre au pays des bisounours. Parce que j'ai une grande nouvelle pour vous: le pays des bisounours n'existe pas. C'est triste, hein ? Moi je m'y suis faite. J'ai sorti mon gun et j'ai fais la guerre au monde, parce que le monde m'avait déclarée la guerre. Vous pensez que j'aurais dû m'appuyer sur mon père pour éponger ma colère ? J'ai essayé, il s'est écroulé alors il a fallu que je m'accroche autant que possible. J'ai essayé de lui pardonner mais le mal était fait. Il s'était montré faible quand j'avais eu besoin d'un roc. Il m'avait obligée à être le parent, à prendre soin de lui, à laisser tomber mon innocence, alors que c'est lui qui aurait dû me protéger. Puis il m'a balancée comme un kleenex. Un peine un an après la mort de Maman, il s'est remarié le bougre. C'est là que la méchante belle-mère a fais son entrée dans le tableau, pour mon plus grand malheur.
Elle m'a gentiment fais comprendre, sans le dire explicitement, sans doute dû à son excellente éducation, que je n'avais pas ma place dans le tableau, que j'étais une gêne, que je n'étais pas du bon standing pour cette famille, ma famille. Elle s'est accaparée ma famille et m'en a gentiment dégagé avec le sourire. Et mon père ne m'a pas retenue, comme si je n'étais qu'une pièce rapportée du passé qu'il voulait foutre à la brocante. Oui, j'ai eu une adolescence parfaite dans une ambiance épanouissante et stimulante. Surtout stimulante. J'étais pas bien farouche, pas encore. J'étais silencieuse, je rasais les murs. C'est à la fac que j'ai acquéri la faculté à ouvrir ma grande gueule de manière intempestive. C'est tellement jouissif.

West Coast.
J'ai appris de mes erreurs et j'ai pris mon destin en main. J'avais décidé de ne plus être passive comme je l'étais, comme je l'avais été, comme mon père. J'avais trois ans d'avance quand j'ai fini le lycée, 15 ans donc. Un vrai petit géni. On s'attendait à ce que je fasse une grande carrière. Moi, ce que je voulais c'était être utile, sauver des vies. Pas devenir médecin non. J'avais besoin de beaucoup plus d'actions que ça. J'aurais pu devenir flic, j'ai opté pour la vie de millitaire, en parallèle de mes études d'ailleurs. J'ai reçu une formation au combat tout en suivant des cours de médecine quand même. C'est l'armée qui paie que voulez-vous. J'avais réussi ma vie, je faisais mon petit bonhomme de chemin, j'avais enfin trouvé mon caractère et ce que je voulais faire. Mais est-ce que j'ai le droit d'être heureuse ? Bah non ! Alors comme la malchance m'a marquée au fer rouge, il a fallu que quelque chose merde. Cette chose, c'était mon père, of course. Il est tombé malade, gravement malade. Et sa femme et ses gosses se sont barrés comme des malpropres. La bonne éducation a ses limites visiblement. Alors il a fallu que je rentre et que je m'occupe des soins de mon père. Impossible de me faire embaucher ou que ce soit, c'était dingue ! Et rien ne couvrait les frais d'hopitaux et de médicaments de mon père... Sauf une chose. Devenir stripteaseuse. J'avais pas le choix, si ? Je voudrais vous y voir, vous ! Non j'avais pas le choix. Alors je me déshabille pour le fric des hommes, je leur vends du rêve. Mais du rêve masqué. Pas question qu'on découvre qui je suis. Puis je veux pas dire mais j'ai une certaine popularité maintenant en plus. Alors l'anonymat c'est ma meilleure chance. Personne ne doit jamais savoir que je suis Scarlett Rose. Jamais.

Post Scriptum.
Je croyais en avoir fini avec ma mère. J'avais scellé cette partie de ma vie et tous mes souvenirs d'elle au fond de mon âme. Mais ça, c'était avant. Avant que je tombe cette la photo de ce petit gamin. J'avais cru que c'était moi avant de me rendre compte que c'était un garçon. Je n'avais pas compris sur le coup. Et la date de la photo indiquait que je n'étais pas née, pas encore. Ca ne pouvait vouloir dire qu'une chose. Il était mon frère et j'ignorais tout de lui. Ma mère devait être tellement jeune quand elle l'a eu. Mais pourquoi n'en avoir jamais parlé ? Qu'était-il devenu ? Mon instinct de fouineuse s'est mise en marche. J'ai cherché fouillé, interrogé, me servant de mes connaissances dans l'armée sans scrupules aucun. Et il s'est avéré que la clé de l'énigme se trouvait toujours dans la même ville que moi. Je n'avais qu'un nom, même pas un visage: Tobias. Qu'est-ce que j'allais bien pouvoir faire de ça, franchement ?