~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
L'entrée au lycée a été très dure pour moi puisque c'est à cette période de ma vie que j'ai perdu ma mère. Durant toute mon enfance j'ai été oppressée par mon père qui voulait que je sois la meilleure dans tous les domaines et donc c'est à partir de mes seize ans que j'ai pu commencer à me débarasser de sa pression sur mes épaules. Au lycée, j'étais la fille cool qui s'entendait avec tout le monde,sans embrouilles, toujours très souriante mais au fond, encore très blessée par la perte de ma mère. Mon niveau scolaire était passé d'excellent à très moyen et j'avoue que je ne me voyais plus faire de longues études après le lycée.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Heureuse ? Oh ça oui !! Ça fait désormais quatre belles années que je vis ici, à White Oak Station, sans avoir mon père sur le dos et je vis enfin comme je le veux. La liberté !! Je suis carrément aux anges et ma nouvelle vie en Alberta me convient parfaitement telle qu'elle est devenue.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Dans dix ans ? Ça paraît tellement loin ! Je n'y ai jamais vraiment pensé à vrai dire car je suis encore trop jeune et je ne vis qu'au présent. J'ignore ce que l'avenir me réserve et c'est pas plus mal que de garder un peu de surprises et d'improvisation pour le futur. En tout cas, je souhaite vraiment avoir un avenir plein de bonnes choses et de félicité.

On m'a toujours affirmée que j'étais née dans une magnifique fleur qui sentait tellement bon qu'on ne pouvait que m'aimer dès le jour de ma naissance. J'ai toujours su que c'était des cracks, un petit tour de violons qui changeait de l'habituel " Papa a planté une graine dans le ventre de Maman et paf, tu as vu le jour "... En effet, mes progéniteurs, d'origines slaves, avaient toujours eu une part extraordinaire d'originalité tant ils s'efforçaient de tout faire pour se distinguer des autres. Dès le jour de ma naissance , on disait déjà de moi que j'allais être le portrait craché de ma mère : une peau douce comme la pêche, les cheveux d'un blond à faire tomber les hommes, un sourire provocateur mais charmeur, de grands yeux bleus, et pourtant avec ce "quelque chose" en plus qui me permettrait de pêcher sans difficulté n'importe quel homme dans mes filets... Eh bien, ces gens avaient raison! Mais croyez-le ou non, gamine déjà, je détestais les garçons qui s'amusaient à lever les robes des filles pour voir leurs petites culottes à fleurs, c'est sans doute pour ça que j'ai le plus souvent mis des pantalons. Enfin bref !

Mes parents ont toujours vu en moi la petite fille modèle, celle dont les bulletins étaient remplis de commentaires plus mélioratifs les uns des autres : "élève disciplinée et sérieuse" , "appliquée dans son travail", soit une gamine à rendre jaloux les autres tant elle semblait déborder de perfection et, les années passant, ils ont tout fait pour continuer à ce que les professeurs fassent mon éloge. A sept ans, j'avais troqué la lecture de contes des frères Grimm pour la découverte des pays du monde entier ainsi que les grandes villes. " Rien de mieux pour se rendre compte que d'aller sur place " disait mon père, sans doute parce que son salaire d'avocat lui permettait de me payer des voyages à chacune de mes vacances. Je suis souvent partie seule, apprenant bien vite ce qu'on appelait... l'autonomie, et me forgeant bien heureusement un caractère qui disait : " Ne me crois pas perdue, je sais mieux m'en sortir sans toi ". J'ai toujours tenu à rester dans le moule que mes parents m'avaient construit : une gentille fille, tout sourire, un peu réservée...

Le grand changement s'opèra sans doute lorsque ma mère finit par tomber gravement malade... vous savez, le genre de maladie dont on a environ 5% de chance de s'en sortir tant elle est ancrée en nous depuis des semaines,t des mois ou des années. La seule chose que j'ai toujours lue sur les traits de ma mère, c'était l'amour passionnel qu'elle avait toujours éprouvé pour mon père. Une expression qui s'estompait et se faisait remplacer peu à peu par le quotidien, la dureté de la réalité et une peur de l'inconnu une fois qu'elle quitterait ce monde... Faut dire qu'avant c'était une femme armée de courage: dès qu'elle avait pu devenir mère au foyer, elle n'a pas hésité et ce, même si j'étais son unique fille. Pourtant à l'approche de sa mort, ma mère n'a jamais réussi à dire ses quatre vérités à mon père, celui qui bouffait par son influence monstrueuse ma propre personnalité, faisant de moi exactement ce qu'il voulait que je sois, peut-être une poupée, ou une marionnette articulée, je ne saurais dire quelle aurait été sa préférence. Ma défunte mère, quatre mois après le début de son hospitalisation et si elle avait laissé un grand vide en moi, on peut dire que le malheur silencieux qu'elle gardait au fond d'elle m'avait finalement touché aussi.

A sa mort, j'étais âgée seulement de dix-sept ans et j'ai commencé à m'affirmer et à revendiquer mes idées et opinions auprès du père trop encombrant qu'il avait toujours plus ou moins été. Engueulades perpétuelles, conflits et plus les jours passaient plus notre relation se dégradait. Il ne pensait qu'à son fichu pognon et ne cherchait sans cesse qu'à me montrer lors de ses repas en compagnie de richissimes hommes d'affaires, j'étais comme un jouet et non sa fille ! Vancouver, ma ville natale et aussi la ville que je chérissais tant me devenait insupportable par sa faute,je pensais donc sérieusement à changer d'air. C'est pourquoi, au tout début de ma majorité, je suis partie m'exiler dans l'Alberta: White Oak Station, afin de réfléchir, me détendre et aussi échapper à ce calvaire. Aujourd'hui, j'ai vingt-deux ans et les relations avec mon père sont toujours aussi tendues mais vous savez, j'aime tellement ma nouvelle vie à White Oak Station que pour rien au monde je ne retournerais chez ce grand malade.