~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
C'était le pied. Enfin, ça, c'est certainement ce que je vous aurais dit le jour où j'en suis sorti. Et c'est à n'en pas douter la réponse qu'imagine à peu près tout le monde. On va pas se mentir, c'était cool, j'ai jamais eu à bosser très dur, j'avais une excellente bande de potes, une copine cool et tout ce qui va avec le vieux cliché du type populaire. vous voyez, le mec du teen movie que tout le monde adule ou craint ? voilà, c'était moi. mais le lycée, ça ne dure qu'un temps. les gens s'en vont, les grandes amitiés se fanent en moins de temps qu'il n'en faut pour dire ouf et dans le fond, je suis content d'en avoir fini avec ça. Mes parents aussi, j'imagine. Maintenant que j'y pense, j'étais sans doute insupportable. Ça se passait bien avec eux, ça s'est toujours bien passé. Ils évitent le conflit à tout prix, mes parents. Leur botte secrète, c'est le soupir agacé et la moue un peu triste, le tout complété par un "je suis déçu(e)". Ou pire encore, "tu me déçois, Benedict". J'y ai beaucoup eu droit, à l'époque où j'étais au lycée. Parce que mes résultats étaient pas géniaux, parce que je sortais sans les prévenir, parce que je ramenais Caroline sans leur consentement, ce genre de conneries débiles qu'on fait pare qu'on se sent libre, et parce qu'on veut un peu les faire chier aussi. Nan mais c'était bien, dans le fond. Mais c'est fini et tant mieux, parce que je suis pas sûr qu'ils auraient pu supporter une année de plus et, à la réflexion, moi non plus.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Honnêtement ? Ouais. Ça paraît sans doute un peu étrange, parce qu'au final, je fréquente la même bande qu'au lycée ou presque, je n'ai pas déménagé à l'autre bout du pays, j'ai les mêmes petites habitudes qu'avant mais, je sais pas, c'est différent. Il y a moins d'hypocrisie, on a tous grandi et ouais, ok, c'est pas l'éclate totale en cours mais même ça, ça ne me mine pas le moral. C'est même pas de mon ressort et puis il y a Internet, alors ça va. En fait, même le fait que Caroline se soit cassée à l'autre bout du monde ne me dérange pas plus que ça. Le seul truc qui, peut-être, ne me réjouit pas, c'est le fait qu'on soit arrivé au bout de notre histoire. On en a pas encore parlé mais elle doit le sentir. Ou alors elle s'en fout à peu près autant que moi. C'est con, surtout après cinq ans. La plupart de nos potes nous imaginait, nous imagine encore en fait, finir notre vie ensemble. Mais rien ne dure jamais, pas vrai ? La preuve, mes parents se sont séparés très tôt. Oh, je le vis très bien hein, aucun problème, on a tous fait la paix avec ça, ils ont refait leur vie, ils sont heureux, nous aussi mais n'empêche... Caroline et moi, c'était bien le temps que ça a duré, aujourd'hui c'est juste pesant. Mis à part ça, tout va très bien.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Ailleurs. Loin. J'en sais rien ? Ouais, vraiment, je sais pas. Vous allez me traiter d'idéaliste mais j'ai pas envie de finir derrière un bureau, à contempler mes diplômes accrochés au mur. Je voudrais que ça me serve, j'aimerais pouvoir aider des gens qui en ont vraiment besoin, partager ce qu'ils vivent pour mieux les comprendre. Je voudrais voyager, apprendre à parler japonais et latin tiens aussi, faire un marathon et je sais pas, pourquoi pas un tour du monde. Je sais pas. Idéalement, dans dix ans, j'aurai grandi et pas juste ici, j'aurai vu du pays comme disent les vieux. Avec un peu de chance, je n'aurai pas tout partagé tout seul. Peut-être qu'elle sera toujours avec moi, peut-être que j'aurai envie de la ramener ici. Toute ma famille vit à White Oak, alors ouais, dans dix ans, je serai sans doute revenu m'installer ici. Quant à avoir des enfants, ew, sans doute pas. Pas tout de suite. Enfin, je dis ça mais peut-être que d'ici dix ans, j'en aurai déjà un ou deux. Mais c'est pas vraiment dans mes plans. Je ne sais même pas si j'ai envie d'avoir des enfants. Pas que je me pose vraiment la question là tout de suite de toute façon.

PRÉNOM ET/OU PSEUDO: julia/scarlett glasses. ÂGE: le compteur est bloqué à dix-huit jusqu'à la fin de mes jours. PAYS: france (before pants). PRÉSENCE: aussi souvent que possible. COMMENT AVEZ-VOUS CONNU LE FORUM? j'me souviens plus, ça fait, euh, longtemps.  PERSONNAGE INVENTÉ OU SCÉNARIO? scé-scé-scénario (celui de sarah, ici). AUTRE CHOSE À AJOUTER?   edit : je viens de voir que le compte d'Ezra existait toujours (c'est trop cute btw   ), alors j'me demandais si vous préfériez que je le reprenne ou si je pouvais garder celui-là ? (ah oui, au passage, coucou c'est moi ).

La fête bat son plein, il peut encore entendre le rire de son père couvrir les conversations, même la discussion très animée entre sa mère et l'une de ses sœurs. Leur mariage n'était assurément pas parfait mais ils ont, en tout cas, réussit leur divorce. C'est déjà ça. C'est ce qu'il se dit, les jours où repenser à leur séparation lui donne envie d'arracher la porte de sa chambre. Il ne sait pas vraiment ce qui s'est passé et il ne saura jamais ─ plus pudiques et discrets que ses parents, ça n'existe pas ─ mais ça ne l'empêche pas de leur en vouloir. Tantôt à l'un, tantôt à l'autre. C'est ridicule mais il a grandi avec l'image de leur couple comme exemple et en apprenant qu'ils se séparaient, il s'est senti un peu trompé. Comme un môme le matin de Noël qui apprend d'où viennent les cadeaux. Mais il n'a plus dix-huit ans et s'il ne comprend pas comment ils peuvent continuer à bien s'entendre comme ça, il peut au moins ne pas faire d'esclandre en pleine fête de famille. Il préfère choper au vol le fils de sa sœur aînée, Isaac, qui éclate de rire après une seconde ou deux de pure panique. Une fois le môme calé sur son épaule comme un vulgaire sac, Ben traverse le jardin, sourd aux suppliques pas sérieuses du tout du petit, lequel peine presque à respirer tant il rigole. « Oh bon sang, Ben, pose-le ! Tu me donnes mal au cœur » lance Sophie lorsqu'elle aperçoit son fils. Il ricane tout bas, parce que ce n'est pas vraiment son gamin qui lui file la nausée. Enfin, si, mais pas celui-là. Seulement personne n'est au courant, à part lui et encore, il l'a appris par accident. Si ça ne tenait qu'à lui, il l'aurait déjà raconté un peu partout mais Sophie a douze ans de plus que lui, elle sait exactement dire et quoi faire pour l'obliger à la boucler. Elle en connaît un rayon, d'anecdotes embarrassantes qu'il n'a pas envie de voir resurgir. Ou atterrir dans l'oreille de son père. Elles en connaissent toutes, toutes les quatre et il se demande parfois si ses frangines communiquent ou pas. Parce qu'elles pourraient l'anéantir si elles dévoilaient ne serait-ce qu'un dixième de tout ce qu'elles savent, à quatre. Il n'a pas hâte de voir arriver le jour où elles se vengeront ensemble, d'une même voix. « There you buddy » Il ébouriffe la touffe de cheveux du gamin qui s'enfuit vers son père tandis que Ben prend place à côté de sa grand-mère. Elle se tourne vers lui, abandonnant de fait sa conversation avec Sophie, et lui tapote la joue. « Et toi alors, quand est-ce que tu nous en fais un ? » demande-t-elle avec tout le sérieux qui la caractérise. Ben manque de s'étouffer avec sa salive et il échange un regard avec sa sœur. A qui fait-elle référence, à Isaac ou au petit en route ? Sophie hausse les épaules en riant. « Il a encore le temps, Grams, intervient-elle, dispensant à Ben de répondre, même si je pense que ses neveux et nièces lui ont passé l'envie » Elle n'a pas tort. D'ailleurs, Sophie n'a jamais tort, du moins pas depuis qu'elle est mariée et mère de famille. A croire que c'est un truc de maman. Leur mère non plus n'a jamais tort. Elle trouve toujours les mots sans effort, comme si ça lui vient naturellement. Ben songe un instant à Caroline qui se balade Dieu seul sait où, entre Shanghai et Madrid certainement. Il l'imagine difficilement mère. Elle parle trop, elle pense trop à elle, trop peu aux autres. Il ne peut même plus compter le nombre de fois où elle a oublié d'emmener ou de récupérer son petit frère ici ou là. Elle est irresponsable, elle est égoïste. Elle ne ferait pas une bonne mère. « Et comment va-t-elle, ta blonde ? » reprend sa grand-mère ─ il s'est toujours demandé si elle pouvait lire dans les pensées mais là, ça devient presque flippant. Ben hausse les épaules parce que vraiment, il ne sait pas. Elle a décidé de partir sans même le consulter alors qu'ils vivaient ensemble et il n'a pas vraiment digéré cet épisode-là. Il lui a fallu du temps pour arrêter de s'attendre à ce qu'elle passe la porte de la salle de bains, les cheveux enroulés dans sa serviette et ne portant rien d'autre que l'un de ses tee-shirts, bien trop grand pour elle. L'appartement sent encore un peu comme elle mais il a arrêté de l'attendre le soir. Elle lui manque, bien sûr, mais pas parce qu'il l'aime comme un fou. C'est plus vraiment le cas et c'est bien ça le problème. « Ça va. Elle est en Europe » répond-t-il, parce qu'il ne peut rien répondre d'autre. La dernière fois qu'ils ont discuté, elle avait l'air pressé de raccrocher et il n'a même pas été foutu d'être vexé. Mais heureusement, sa grand-mère dissipe bien vite le malaise naissant avec l'une de ses célèbres anecdotes sur ses années de pensionnat dans le Derbyshire et avant même qu'il s'en rende compte, Ben a oublié Caroline et leurs problèmes.

Problèmes qui lui reviennent en pleine gueule lorsqu'arrive la nuit et le repli vers la grande maison. On allume lampes et bougies, on sort pulls et châles. La musique s'est évanouit aux alentours de vingt-et-une heures, lorsque les enfants ont été envoyé au lit. Après avoir assuré à sa mère, sa belle-mère et plus ou moins toutes les femmes de sa famille ─ ce qui n'est pas peu dire puisque sa famille est composée en grande majorité de femmes ─ ainsi qu'à ses beaux-frères que non, il n'est pas ivre et que oui, il peut conduire, Ben rejoint son père dans son bureau. Le paternel est installé derrière sa table de travail, téléphone en main, cigare dans l'autre. Si sa nouvelle compagne le voyait, il serait dans de beaux draps. Respectueux, Ben attend sur le pas de la porte que son père ait terminé. « Ah fils, entre. J'ai quelque chose à te demander » Le fils en question a une seconde d'arrêt parce que ça n'est jamais une bonne nouvelle quand son père a quelque chose à lui demander. Déglutissant, il referme finalement la porte, sa veste et le casque de sa moto à la main. Son père a un regard dédaigneux pour le casque, il n'a jamais été un grand fan de son mode de transport mais pour une fois, il ne dit rien. Ouch, c'est encore pire que ce que Ben imaginait. « Comment va Caro ? » Oh. « Bien, bien » fait-il, c'est la seule chose qu'il puisse dire sans risquer de mentir. Il ne sait pas comment elle va, il ne sait vraiment pas. Non pas que ça ne l'intéresse pas, il aimerait savoir mais parce qu'il tient encore à elle. Pas parce qu'il est toujours dingue d'elle. Le détail a son importance. « Tout va bien entre vous ? » insiste le paternel, plus diplomate que jamais. Ben soupire, se pince l'arrête du nez, ce qui a le don d'agacer son père. « Benedict ne monte pas sur tes grands chevaux » gronde-t-il, tout bas, pour n'affoler personne. Benedict. Le prénom utilisé dans sa forme originelle n'augure vraiment rien de bon. Mais il n'a plus douze ans et ses problèmes de couple ne regardent pas son père. Sauf que ce dernier ne l'entend pas de cette oreille. « J'ai vu sa mère aujourd'hui, elle est inquiète. Caroline lui a dit que tu étais distant » explique le patriarche, plein de sollicitude. A ces mots, Ben a presque envie d'éclater de rire. Distant ? Vraiment ? C'est la blague du siècle. « Distante ? répète Ben, d'une voix dure. Elle a dit ça quand, entre Saint-Pétersbourg et Moscou ? Distant ? Est-ce que c'est une blague ? » C'est au tour de son paternel de soupirer, las. Il traverse la pièce et vient poser une main sur l'épaule de son fils, compatissant. « Tu l'aimes toujours ? » Qu'est-ce que ça peut bien lui foutre ? Mais il ne peut évidemment pas rétorquer ça, alors Ben hoche la tête en une confirmation douteuse. Est-ce qu'il l'aime toujours ? Il l'aime encore et il l'aimera probablement toujours. Elle est son premier amour, sa première copine et on efface pas cinq ans d'une vie en un claquement de doigts. Est-ce qu'il est toujours amoureux d'elle ? Non, sans doute pas mais ça, c'est leur problème, pas celui de leurs parents respectifs. Son père lui dit finalement bonsoir et après un nouveau tour sur la terrasse pour annoncer son départ, il enfourche sa moto pour retourner en ville.

Le trajet se fait sans encombre, il le connaît par cœur. Si ça n'était pas si dangereux, il pourrait presque le faire les yeux fermés. Adolescent, ça l'irritait de devoir faire autant de kilomètres chaque jour pour aller au lycée, d'autant que le ramassage scolaire n'était pas toujours très au point. Il rentre moins souvent chez ses parents ─ qui, oui, vivent toujours sous le même toit avec leurs conjoints, fait hautement étrange que Ben ne comprendra jamais ─ mais il a appris à aimer ces petits voyages. Ça le calme, ça lui vide la tête. De manière générale, rouler lui fait du bien et ce soir plus qu'un autre, il se félicite d'avoir déménagé dès son entrée à l'université. Les lumières de la ville ne tardent pas à défiler sur la vitre de son casque et il sourit comme un crétin en entrant dans White Oak Station. Il fait encore bon et il y a du monde dans les rues. Bien évidemment, il serre le frein, ralentit progressivement jusqu'à atteindre une vitesse socialement et légalement acceptable. Renverser quelqu'un est la dernière des choses dont il a envie. Ça n'empêche pas une blonde pressée de se jeter quasiment sous sa roue avant. Il fait un écart et parvient, in extremis, à garder le contrôle de sa moto. Rageur, il relève la visière de son casque, prêt à passer un savon à l'inconsciente. « Hé, si tu tiens tellement à passer l'arme à gauche, saute d'un pont au lieu de- hé, mais on se connaît » Enfin, il la connaît. Il l'a rencontrée au cours d'une fête, la semaine dernière. Une fille cool, pas chiante, même s'il serait bien en peine de mettre un nom sur son joli minois. Ou peut-être que si, en fait. « Sarah, c'est ça ? » C'est sûrement ça et il lui offre un grand sourire une fois son casque enlevé. « Ben » lui rappelle-t-il, parce qu'il n'a pas la prétention d'être inoubliable ─ après tout, il s'est contenté de lui offrir un café au petit matin après une longue balade et allez savoir, peut-être qu'elle passe souvent ses nuits à marcher en compagnie de parfaits inconnus. « Tu grimpes ? » lui propose-t-il, sans très bien savoir pourquoi. Elle est mignonne mais ça n'explique rien. Pire, se donner ce genre de raisons fait de lui un enfoiré. Il a une copine ─ une copine qui l'a plus ou moins laissé tomber comme une merde mais Caroline reste sa nana. Mais cette fille, Sarah, est mignonne. Et intéressante. Et après tout, ça n'engage à rien ─ mais même lui, expert du déni et de la méthode de l'autruche, il n'y croit pas trop en lui tendant son casque de rechange. Tant pis. Caroline n'est pas là de toute manière et il ne va arrêter de vivre. Ou d'avoir des amis.