~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
   Le lycée, c’était l’éclate la plus totale. Non je n’aimais pas les cours loin de là. Enfin si j’en trouvais quelques-uns de sympa mais pas tous ça c’est sûr. Non le lycée c’était plutôt pour retrouver les potes et s’amuser. J’avais une bande de bons potes et on en a fait des conneries ensemble parce qu’au moins avec eux, je me sentais quelqu’un. Je veux dire, à la maison, j’étais toujours relégué au second plan, Milan passant toujours avant moi. J’peux le comprendre il est sourd. Il est différent. Mais je ne peux pas l’accepter. D’ailleurs il est venu au lycée quelques mois, et il en a bavé, et on va dire que je ne suis pas étranger à tout ça. J’ai en parti été responsable de ce qu’il s’est passé. J’étais en pleine adolescence comme mon frère et il fallait que je trouver quelqu’un à qui faire payer le fait que je sois toujours le second de la famille et malheureusement c’est tombé sur Milan. Regrettable choix d’ailleurs. Je ne devrais pas lui en vouloir mais bon, il a toujours été le centre d’attention. J’ai toujours été relégué au second plan et c’est quand même vachement frustrant. J’aurai mieux fait de faire payer mes parents plus que lui. Finalement, maintenant que je vis ma propre vie sans dépendre de ma famille, et c’est bien mieux comme ça.

      ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
   Heureux je ne sais pas. C’est compliqué de dire si on est heureux ou pas en fait. Mais en tout cas, je préfère ma vie actuelle. Celle depuis que j’ai quitté le ranch familial. J’ai pris mon indépendance et moi envol et je crois que j’avais besoin de ça. J’avais besoin de vivre ma vie, vraiment parce qu’en famille j’étouffais, je n’étais pas moi-même et je passais toujours après Milan, et ça m’a fait du mal. Je suis toujours en contact avec ma famille bien sûr. Mais nos relations n’ont guère évolué vers plus de positif. Finalement cette nouvelle liberté m’évite d’être relégué au second plan. Mes amis du lycée, certains sont encore des amis, d’autres ont tellement changé que je ne les reconnais plus et que je n’ai donc plus de contact avec eux mais ça ne me fait pas souffrir, les meilleurs restent.

      ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
   Dans 10 ans je me vois bien avoir voyagé avoir découvert le monde être parti à l’aventure. Je ne serai peut-être même plus ici à White Oak Station. Je serai peut-être à Hollywood devenu un metteur en scène, ou dans un coin du monde à étudier je ne sais quoi. Honnêtement où je serai je ne le sais pas encore. Je me vois bien par contre vivre avec une femme, des enfants et un chien, je sais c’est cliché. Mais après tout c’est le modèle de la famille heureuse non ? Enfin je dis ça, je n’en sais rien. Que me réserve l’avenir après tout ? Je le découvrirais surement en temps voulu.

J'ai vu le jour le 1er février 1993 au Canada. J'ai eu la chance d'avoir un grand frère qui a le même âge que moi et qui s’appelle Milan. Enfin je croyais que ça allait être une chance mais en fait, non. Le problème ne vient pas directement de Milan. Non le vrai problème c'est sa différence, il est sourd. J'en ai longtemps souffert.
Avec son handicap, il s'accaparait régulièrement toute l'attention. Je sais bien que ce n'est pas de sa faute, qu'il n'a pas choisi d'être comme ça, mais moi aussi j'avais besoin d'attention. J'en avais, je n’étais pas non plus totalement livré à moi-même. Mais pas autant que j'aurai voulu, parce que j'ai toujours été le second, depuis le début.
On a reçu une éducation un peu stricte et elle m’a servi. Malgré le fait que j’aime bien mon frangin, il m’arrivait bien plus jeune d’avoir envie de lever la main sur lui ou de faire un truc pas cool juste pour me venger. D’ailleurs c’est ce que je faisais au début, mais à force de me faire punir, j’ai compris et je me suis calmé par moi-même.
Dès mon plus jeune âge, et vu qu'on vivait dans un ranch, mes parents m'ont appris à monter à cheval. J'ai bien aimé dès le début et puis ça m'a aidé par la suite.
Mais tant que je n'étais pas en âge de faire des excursions à cheval seul, je me suis pris d'une passion pour la lecture. Vu que j'étais relégué au second plan, je m'enfermais très souvent dans ma chambre avec des livres, tous les genres et je me découvrais petit à petit une passion pour les récits légendaires, toutes ces créatures mythiques, ces récits, tout ça, ça me plaisait. Je m'imaginais preux chevalier partant à l'aventure. Quand je ne lisais pas et qu'on ne m'accordait que peu d'attention, je dessinais, doux rêveur que j’étais, c'est un peu comme si on tentait de m'effacer et j'approuvais. J'étais devenu un gamin calme, sage et discret.
Mais les histoires, ça va un temps, et au bout d'un moment on pense à passer à autre chose. Bien sûr il y avait l'école, je suivais une scolarité tout à fait normale. J’étais un assez bon élève avec de bons résultats dans les matières artistiques, genre art plastique et musique. J’avais bien plus de mal avec les mathématiques.
Mais quand je rentrais, je redevenais un peu moins visible, toujours le second. Alors étant jeune lire et s’inventer une vie de preux chevalier qui va tuer le dragon c’était marrant, mais rien qu’un temps, et au bout d’un moment ça ne suffisait plus. Alors je rentrais je posais mes affaires, faisais ce que j’avais à faire et puis je me rendais à l’écurie, j’allais voir un cheval, toujours le même, un peu mon cheval en fait, Heiko. Je crois que j’y ai parlé plus qu’à n’importe qui. Puis j’avais ce tempérament aussi de toujours vouloir partir à l’aventure, il y avait des bois pas très loin du ranch et j’y suis parti un nombre incalculable de fois, juste pour quitter cette ambiance. D’ailleurs mes parents n’étaient pas tout le temps au courant ou n’étaient pas toujours d’accord non plus. Mais j’évitais de rester au ranch parce que je n’avais pas l’impression d’y avoir ma vraie place. Je partais à l’aventure des fois, je ne savais pas où j’allais mais ce n’était pas grave, je me sentais bien, je me sentais libre. Il m’arrivait même de m’arrêter dans une clairière et m’allonger dans l’herbe un moment. J’ai même fais la promesse un jour à Heiko de quitter le ranch et je lui ai juré qu’il viendrait avec moi. Puis quand je voyais qu’il était temps de rentrer, je me remettais en selle et je repartais. Ayant un bon sens de l’orientation, j’arrivais toujours à me retrouver et à rentrer, pas toujours dans les temps mais qu’importe.
Je crois que ma phase de profonde rébellion a commencé à l’entrée au lycée. Je n’ai pas spécialement compris pourquoi mais Milan a décidé de suivre les cours dans le même lycée que moi et je n’ai pas été un tendre avec lui. Qu’est-ce que j’ai pu être con à l’époque sérieusement. J’étais avec ma bande de potes et un de mes passes temps favoris c’était de les envoyer faire chier mon frangin, juste pour me venger de ce qu’il me faisait subir malgré lui. J’y allais très rarement parce que sinon je savais qu’à la maison pour ça je ne passerai pas en second. Non pour me faire comprendre que j’avais fait une connerie quand je l’avais faite, j’étais loin d’être le rejeté de la famille. Non là j’étais au premier plan. Au moins dans ces rares moments je ne me sentais pas rejeté.
La chose qui m’a poussé à quitter le ranch et à éviter le plus possible d’avoir des contacts avec mes parents, c’est un samedi, il y a maintenant 4 ans. C’est le jour où ils ont décidé que Heiko était devenu trop vieux et qu’il fallait le vendre. Ils savaient que c’était mon cheval. Mais non, ils l’ont quand même vendu. Je crois que ce jour-là quand j’ai vu Heiko partir, j’ai osé dire à mes parents une phrase que je regrette aujourd’hui. Je leur ai lancé quelque chose qui ressemblait à « Vous savez si vous ne vouliez qu’un seul enfant, vous auriez tout aussi bien pu m’abandonner. Jamais je n’ai eu ma place ici. Jamais je n’ai été écouté. Je vous déteste » et c’est sur ces mots que je suis allé rassembler l’ensemble de mes affaires et les quelques économies que j’avais et je suis parti, je suis venu m’installer à White Oak Station. J’avais gagné ma liberté. J’allais pouvoir être moi. Je me suis trouvé un petit studio en ville pas très loin de l’université, oui parce que je allais poursuivre mes études et suivre un cursus  techniques du cinéma et de dramaturgie, cursus où j’ai fait la connaissance très vite d’un chouette type, Nahuel.
Les années ont passé et j’ai retrouvé des relations plutôt neutres avec ma famille. Je me rends compte maintenant que j’ai surement plus fait de mal à Milan qu’autre chose parce que même en tant que petit frère j’aurai dû être un peu plus là pour lui.
J’ai pris la décision de retrouver mon grand frère et d’essayer de rattraper le temps perdu et pour lui prouver ma bonne foi, j’ai même commencé à prendre des cours de langue de signes, ce n’est pas facile. J’espère juste qu’il comprendra ma démarche et que je ne fais pas ça pour le rabaisser une fois de plus mais parce que malgré tout je l’aime mon frangin.