~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
Le lycée ? Ça n'avait rien de spécial. A cette époque j'étais encore en Angleterre et j'étais assez heureux, enfin je crois. J'avais une bande de potes et même si on était pas proches à la vie à la mort, on rigolait bien. Je ne faisais pas partie des "populaires", mais je ne n'étais pas un bouc émissaire non plus ; en fait je me trouvais dans le juste milieu, un gars comme un autre qui ne fait pas d'histoires et à qui on ne cherche pas d'emmerdes.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Je ne sais pas. Comment ça se calcule, le bonheur ? Est-ce qu'il y a des critères qui font que je dois répondre oui ou non ? Je pense que c'est avec le recul qu'on arrive à déterminer si on était heureux à cette époque-là ou pas. C'est triste de se dire qu'on n'arrive jamais à profiter du moment présent, c'est toujours plus tard qu'on se rend compte que c'était bien et qu'il aurait peut-être fallu en profiter un peu plus maintenant que le temps nous a filé entre les doigts.
Comme pour tout le monde y a des choses joyeuses dans ma vie, et des malheureuses aussi. Mais qu'est-ce que je peux y faire ? Je suis bien au Canada, j'ai une petite amie, un boulot - qui ne me rapporte pas beaucoup, certes, mais un boulot tout de même. Alors je peux dire que ça pourrait être pire.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Aucune idée. Je n'ai pas envie d'y réfléchir non plus. Pour l'instant je me plais au Canada, mais est-ce que White Oak va finir par me lasser ? Je ne sais pas. Je ne compte pas rester serveur pendant toutes ces années encore, alors j'imagine (j'espère !) que j'aurais changé de taff dans dix ans. Après concernant l'amour, la famille ... Ouais, peut-être que j'aimerais en fonder une, qui prenne un peu la place de celle que je n'ai plus.

Sa vie n'avait été jusque là qu'un long fleuve tranquille ; il se rendait compte à présent à quel point il avait été égoïste et idiot. Tel un enfant capricieux il n'avait su profiter de ce que la vie lui offrait, parce qu'il était « adolescent » il était sans cesse en conflit avec ses parents – après tout, c'était normal à cet âge là ! Demander plus, toujours plus, sans jamais rien donner en retour. Du temps, de l'argent gaspillés, des cris inutiles, des disputes stériles.

Oh, comme il regrettait à présent !

Et il ne possédait plus que ça, les remords et les regrets tandis qu'il observait les cercueils de ses parents s'enfoncer dans la terre molle.

C'était stupide, comme à chaque fois, un mec inconnu qui avait trop bu et qui leur avait foncé dedans. L'avant de la bagnole défoncée et Nash qui avait deux côtes cassées mais qui était vivant, lui.

Et ça tournait dans sa tête, ça tournait sans cesse, les images, les dernières secondes, ils discutaient de quoi déjà ? Il ne se souvenait plus, ça devait être sans importance, sans doute lui faisaient-il encore des reproches. Parce qu'il se fichait de tout, ne se souciait de rien et qu'il vivait sa vie sans regarder ce qu'il brisait au passage.

Quel égoïste, quel idiot. Il s'en voulait tellement. Il aurait pu être tellement meilleur avec ses parents. Se rapprocher de l'image de fils modèle qu'ils avaient en tête. Il aurait pu correspondre plus à leurs attentes. Leur dire qu'il les aimait tous les deux. Et maintenant ils étaient morts.

*

Quelques mois s'étaient passés depuis l'enterrement et la situation s'aggravait.
Il ne cherchait pas de travail, n'avait donc pas de revenus et il venait d'être mis à la porte de l'appartement pourri qu'il avait loué.
Bien sûr, il y avait l'argent de l'héritage que ses parents avaient laissé, mais il refusait d'y toucher. Il n'en voulait pas, de cet argent. L'idée de profiter de leur mort était affreuse.

Ses prétendus amis du lycée et de l'université avaient tous disparus. Après tout, qui voudrait traîner avec le triste orphelin ? Et pouvait-on encore l'appeler ainsi, à vingt ans ? A cet âge-là, il était censé ne pas s'en soucier, n'est-ce pas ?
Ces idées reçues le rendaient malades. Il n'était pas un enfant, mais parfois il ne se sentait pas adulte pour autant.

Alors, il fila et quitta son Angleterre natale. Droit vers le Canada, dans une petite ville qui semblait prometteuse et qui surtout avait le mérite de le dépayser. Il trouva un emploi de serveur dans un bar dégueulasse et pas franchement respectable. Mais c'était mieux que rien.

Et maintenant, il en était réduit à se contenter de cela, du « mieux que rien ».