Il y a deux semaines de cela, ma vie avait changé du tout au tout. Bien sûr, j’avais eu près de neuf mois pour me préparer à tant de changements, soit depuis que nous avions appris qu’April attendait un enfant, notre enfant, mais jamais je n’aurais cru que ces changements soient aussi majeurs, et qu’au final, ce soit majoritairement pour le mieux. Évidemment, ce n’était pas toujours simple, avoir un bébé à la maison, surtout quand aucun des deux parents avait d’expérience avec les bébés auparavant. Enfin, j’avais fait un peu de baby-sitting pour me préparer, mais ce n’était pas pareil du tout par rapport au fait d’avoir un enfant à soi. Cependant, je me rendais compte que tout ce temps que je pouvais offrir à ma petite famille ne pouvait être qu’un avantage, parce que je m’y faisais et plus encore, j’étais encore plus heureux que je ne l’aurais cru avec April et notre petite boule d’amour qu’était notre fille Lincoln. Pendant tout ce temps, nous avions vécu dans ce que je pensais être une bulle d’amour, une bulle que peu de gens pouvaient vraiment embêter. En revanche, à un certain point, il était nécessaire de revenir à la réalité, et c’était aujourd’hui que cela arrivait. April avait quelque chose de prévu tandis que de mon côté, je m’étais rendu compte qu’il serait peut-être temps que j’aille faire quelques courses, non seulement pour la petite, mais également pour nous, parce que nous ne pouvions pas vivre de pâtes et restes de nourriture éternellement. En venant à la conclusion que c’était la journée parfaite pour m’y prendre, et que je ne mettrais pas une éternité, je m’étais armé d’une liste de courses, puis du porte-bébé dans lequel je mis Lincoln, histoire de laisser un peu de temps libre à April qui, mine de rien, devait être encore quelque peu fatiguée de l’accouchement. De plus, la petite avait déjà mangé, sa couche était changée, si tout allait bien, elle dormirait contre moi le temps que j’achète le tout et que je rentre à la maison ou du moins, je l’espérais. En voiture, je me rendis au supermarché. J’installai Lincoln dans le porte-bébé que j’avais déjà placé devant moi, m’assurant que celui était bel et bien mis en place et que ma fille y était confortable, me moquant bien de savoir si c’était typique des pères de faire cela ou non. Dans mon cas, je pensais plutôt pratique; j’aurais les mains libres pour faire les courses, et ce serait parfait. J’entrai dans le supermarché et je pris un caddie, puis je commençai à faire le tour en prenant ce qui se trouvait sur la liste, m’arrêtant une fois de temps à autre pour prendre le temps de m’assurer que j’avais tout, que je prenais la bonne chose, ou bien si je n’avais pas oublié de noter quelque chose qui me revenait dans les rayons.

Faire les courses, ce n’était pas l’activité que je préférais faire, mais disons que j’étais en mesure de me débrouiller ou du moins, être en mesure de savoir quoi prendre en temps normal sans trop me poser de questions. Aujourd’hui ne faisait pas vraiment exception à la règle, sauf peut-être quand je passerais dans le rayon des produits pour bébé, sachant très ben qu’il faudrait que contrairement à précédemment, il faudrait que je pense à prendre des couches, du lait et autres pour ce petit ange qui se tenait tranquille dans le porte-bébé. Pour cette raison, je ne pensais pas paraître totalement incompétent dans ce supermarché, et ce fut pourquoi je fus légèrement intrigué quand une voix féminine m’interrompit dans ma recherche de produits en me parlant des fraises du Canada. Tout d’abord, je fronçai les sourcils, ne comprenant pas vraiment pourquoi quelqu’un se tapait l’incruste comme ça, mais poli de nature, je ne dis rien, me contentant de tourner la tête et me rendre compte que tout était maintenant clair; cette jeune femme qui m’avait adressé la parole, je la connaissais depuis un moment maintenant, même si je ne m’attendais certainement pas à la voir ici, à White Oak, et encore moins dans une épicerie, comme ça, à tout hasard. Ma surprise se vit clairement dans mon visage tandis que la jeune femme se dit heureuse de me voir. Ne pouvant nier que c’était la même pour moi - pas que j’étais heureux de me voir, mais de la voir elle - j’écarquillai les yeux et je lâchai, enthousiaste:  « Nalà ! Quelle surprise ! » Pendant un instant, je voulus me diriger vers elle pour la prendre dans mes bras amicalement, mais me rappelant que ma fille était toujours calée devant moi et que je ne voulais pas l’écraser, je me ravisai. Malgré tout, je me permis quand même de m’approcher un peu plus, et je lui demandai:  « Ça fait longtemps ! Je suis content de te voir ! Comment tu vas alors ? Que fais-tu ici ? »

Si je pensais avoir esquissé un sourire un peu idiot au moment où Nalà approuva mon propos comme quoi cela faisait longtemps, il n’en fut rien jusqu’au moment où elle souleva la présence de ma fille. Ce n’était certainement pas parce que je n’étais pas d’accord avec ses dires, bien au contraire; il était vrai que cela faisait une éternité que nous ne nous étions pas vus, sans parler du fait que pensant ces trois dernières années, le temps avait passé, pour moi en tout cas, à la vitesse de l’éclair. Avec tout ce qui s’était passé, j’avais du mal à croire que cela faisait plusieurs années que je n’avais pas vu mon amie et pourtant… Enfin, l’essentiel pour moi était qu’elle ne m’en veuille pas de ne pas avoir donné des masses de nouvelles ou quelque chose du genre. En fait, ce fut plutôt l’inverse; ces retrouvailles se déroulèrent de façon plutôt géniale, surtout lorsqu’il fut question de cette petite princesse qui se tenait tranquille dans son porte-bébé. Je n’étais pas de nature vantarde, mais je devais avouer que lorsqu’il était question de ma fille, j’étais toujours rempli de bonheur et de fierté. Pour cette raison, je n’eus aucune hésitation lorsqu’il fut question de donner le nom de ma fille, et ce fut avec ce même sourire crétin que je dis donc:  « Lincoln. » Évidemment, ce ne fut pas pour autant que j’avais la tête dans les nuages au point d’en oublier la discussion en cours. Au contraire, ce fut avec attention que j’écoutai la demoiselle me répondre qu’elle était venue ici pour y retrouver son meilleur ami. Avec enthousiasme, je lui répondis:  « Eh bien, c’est super ! » avant de l’écouter me retourner la question. Me rendant compte que je ne savais pas du tout par où commencer, il fut plus fort que moi de m’exclamer:  « Oulà, il y a tant de choses ! » en sachant très bien que ce petit moment me permettait de réfléchir un peu plus. Parce que oui, j’avais tendance à vouloir prendre mon temps avant de répondre, même dans l’excitation, même si je me sentais limite parfaitement à l’aise, ce qui ne m’arrivait pas toujours, quand même. Puis, après quelques secondes, quand je remis les derniers évènements de ma vie dans l’ordre, je pus finalement répondre:  « Ma mère est tombée malade, du coup j’ai pris un poste à l’université de la ville pour rester près d’elle. Puis j’ai rencontré une fille géniale, et maintenant, nous avons cette petite princesse…. » Tout naturellement, je posai un regard attendri sur Lincoln, qui n’avait toujours pas bronché. J’avais fait exprès de ne pas mentionner l’histoire comme quoi cette fille était une de mes étudiantes et tout ce qui venait avec. Ça, il me faudrait plus de temps et un contexte différent qu’une rencontre entre deux rayons de supermarché pour ça, à mon avis. À la place, je décidai de renverser le sujet encore une fois, et de demander à Nalà, avec intérêt;  « Et que fais-tu donc maintenant ? Tu es toujours dans le même domaine ? »

Compte tenu que je jugeais que ce n’était pas vraiment le moment de faire un discours énorme concernant ma vie actuelle et tout ce qui s’était passé ces dernières années, sans parler du fait que je n’avais jamais été doué pour ce genre de chose. Cependant, je n’avais pas prévu que je me retrouverais dans une situation qui pouvait laisser place à la confusion, tout simplement parce que je n’avais pas raconté les détails de ma relation avec April qui m’avait poussé à quitter mon poste à l’université. Au début, je ne pensais pas que ce serait bien important, mais lorsque Nalà me demanda de quel poste il s’agissait, je me retrouvai légèrement gêné, si bien que je ne sus que dire:  « Hum… Professeur. » sans même préciser quoi que ce soit d’autre. Je n’étais pas du genre à être orgueilleux, mais là, je dus admettre que la simple idée d’ajouter qu’en fait, c’était chose du passé, me chicotait quelque peu. Enfin, je savais bien qu’il me faudrait l’admettre à un moment ou un autre, mais je ne savais pas trop comment le faire. Je jugeai donc préférable de prendre des nouvelles de mon amie, savoir ce qu’elle faisait, surtout que ma curiosité n’était pas feinte, pas un seul instant. Attentivement, je l’écoutai me dire qu’elle vivait maintenant de sa passion. Pendant un instant, je ne sus pas vraiment comment réagir, parce qu’elle n’en semblait pas particulièrement fière, mais parce que selon moi, cela ne devrait pas être une honte, bien au contraire, je me permis de lui sourire au final, et de dire:  « C’est super, je trouve. Pour moi, il n’y a pas mieux que de vivre pour ce qu’on aime. » C’était après tout ce que j’avais fait pendant plusieurs années, et même encore aujourd’hui, même si pour le coup, ma carrière était limitée à la ville dans laquelle je vivais, vu que j’avais une petite-amie et un enfant de qui m’occuper. Compte tenu que je ne manquais pas de revenus, puisque je n’étais pas nécessairement dépensier, ce n’était pas un problème, mais bon, disons que les photos que je faisaient n’avaient rien à voir avec tout ce que je pouvais faire précédemment, partout à travers le monde. Et là, je n’allais pas poser de confusion par rapport à la question de Nalà, lui répondant aussi bien que possible:  « Dès que je le peux. Évidemment, je ne me déplace pas autant qu’avant, mais tu me connais, je ne pourrais pas ne pas faire de photo pendant trop longtemps. » Je souris doucement, me rendant compte qu’après avoir prononcé ces mots que je ne lui avais toujours pas dit que j’avais quitté mon poste. Et là, je ne savais pas vraiment comment le placer dans la discussion sans faire quelque chose de maladroit, alors je décidai de ne pas le demander, me contentant encore une fois de changer le sujet et dire:  « Tu comptes participer à des évènements ici ou quelque chose du genre pour le moment ? J’adorerais voir certaines de tes créations, si tu le veux, évidemment ! »