scar & terrence
a little help is all he needs
« Ahhh, purée ! Mais c'est pas vrai ! »
Terrence jura, puis plongea ses doigts dans le saladier pour tenter de récupérer les bouts de coquille qu'il y avait fait tomber. Mais, déjà que pour quelqu'un d'expérimenté, récupérer des morceaux de coquille perdu au milieu du blanc d’œuf relevait de l'exploit, c'était littéralement mission impossible pour Terry et ses gros doigts de garagiste. Il pesta de nouveau, les coquilles lui échappant systématiquement d'entre les doigts dès qu'il était sur le point d'en récupérer un éclat. Il essaya avec une petite cuillère, en vain. Pour le coup, il n'avait vraiment pas de chance avec les œufs. Il avait cogné le premier un peu trop fort et l'avait littéralement éclaté sur la table, et il avait percé le jaune du deuxième qui avait donc coulé dans le saladier, où il était censé ne garder que le blanc. Jamais deux sans trois, comme disait l'autre, et le troisième œuf n'avait pas été un meilleur succès. Dépité devant les morceaux de coquille récalcitrants, Terrence avait abandonné. Il avait pris la cuillère en bois et les avait bien écrasé pour que, au moins, ils ne se sentent pas lorsque la pâte serait cuite. Il jeta ensuite un coup d’œil à la recette avant de soupirer. Il fallait un quatrième œuf.
« Au secouuuurs ! Mais quelle idée j'ai eu, bon sang. »
Terry se parlait tout seul, et c'était une grande première. Il avait pour habitude de ne pas parler du tout, alors qu'il le fasse sans personne pour l'écouter, c'était pour le moins surprenant. Il se passa le revers de la main sur le front, comme s'il venait de courir un marathon. C'était tout comme au niveau de l'effort mental, en réalité. Terrence était un piètre pâtissier, un piètre cuisinier tout court, et il s'était attaqué à une recette bien au-delà de ses compétences. Il s'était accordé un jour de congé et avait décidé d'en profiter pour avancer les travaux du manoir... et préparer un gâteau pour Scar et sa grand-mère. Elles s'occupaient tout le temps de la cuisine et il n'avait systématiquement qu'à mettre les pieds sous la table quand le repas était prêt, alors il avait voulu faire un effort. Bien sûr, il n'était pas complètement inutile à la maisonnée puisqu'il était quand même en train de retaper le manoir et ce n'était pas une tâche facile, mais Scar mettait la main à la pâte aussi, concernant les travaux, alors c'était son devoir de mettre la main à la pâte concernant la cuisine -et c'était le cas de le dire. Il jeta un regard à l'extérieur à la recherche de la moindre aide, mais sa grand-mère et son amie aux cheveux multicolores étaient penchées au-dessus d'un plan de légumes, lui tournant le dos. Terrence était abandonné à son triste sort. Il souffla une nouvelle fois, puis pris une grande inspiration. Il attrapa le quatrième œuf, le cassa avec la plus grande des prudences...
« MAIS C'EST PAS VRAI PUTAIN ! »
Si son regard avait été noir d'une colère profonde, sa mâchoire contractée et ses poings serrés, on aurait pu croire à un grand retour du Terry des années 2010. Heureusement, sa colère n'était que passagère et non profonde et permanente comme à l'époque ; elle n'en était pas moins sincère. Terrence commençait sérieusement à désespérer. Il n'avait pas accompli la première instruction de la recette qu'il avait déjà envie de tout envoyer balader. Le quatrième œuf avait été un misérable échec, lui aussi. Cette fois, il avait laissé tomber le blanc avec le reste des jaunes. Sentant sa motivation à cuisiner le quitter peu à peu, il s'essuya les mains puis jeta le torchon avec énervement, avant de passer la tête par la fenêtre.
« Scaaaaaaar ! »
Sa voix traduisait toute la détresse dans laquelle il était. Il n'était certainement pas du genre à crier, il aurait d'ordinaire attendu que la jeune femme repasse par la maison pour lui faire part de son problème, mais la situation était critique et Terry n'en pouvait plus. Ça ne pouvait pas attendre.
« Tu veux bien abandonner les choux et venir s'il-te-plaît ? C'est une question de vie ou de mort, là. »
Un peu d'humour, au passage. Terrence l'avait retrouvé quand Scar avait débarqué.

     

scar & terrence
a little help is all he needs
Pour le plus grand bonheur de Terrence, Scar avait répondu à son SOS. Et heureusement d'ailleurs, parce qu'en toute honnêteté il ne voyait pas d'autre issue qu'un échec complet, s'il terminait seul ce gâteau. Il esquissa un léger sourire ironique devant le surnom que Scar lui affublait et résista à l'envie de répliquer, sur un ton des plus niais, Oui ma princesse ?
« Qui ne s'ouvrent pas comme je veux ouais, et surtout qui s'ouvrent comme de la merde ! C'est quand même pas la mer à boire, je veux juste qu'ils m'éclatent pas dans les mains. »
Ça n'avait pourtant pas l'air compliqué. Il avait vu sa grand-mère casser des œufs un nombre incalculable de fois, et sa propre mère avant elle, même Nahuel savait le faire ! N'était-il donc bon qu'à réparer des voitures ? Si tel était le cas, c'était regrettable, vraiment. Comment pourrait-il épater la femme de sa vie, plus tard ? Parce que s'il était incapable de casser un œuf sans le laisser échapper par terre ou faire tomber la moitié de la coquille dans le plat, il y avait fort à parier qu'il n'arriverait pas à préparer un repas plus élaboré qu'un vulgaire plat de pâtes. Et, aussi étonnant que cela puisse paraître, Terrence n'était pas pour la femme derrière les fourneaux et l'homme au garage, même si c'était ce qu'il véhiculait depuis qu'il vivait avec sa grand-mère, qui s'occupait de tous les repas tandis que lui passait son temps à réparer toutes sortes de bolides. Terry était trop dépité pour joindre son rire à celui de Scar, et il se contenta de soupirer devant son piètre niveau en cuisine. Il espérait sincèrement que la jeune femme pourrait relever le niveau. Son sourire s'élargit quand elle déposa un baiser sur sa joue, et il l'observa se rendre jusqu'à l'évier. Il n'était pas encore complètement habitué à ses preuves d'affection, mais il doutait l'être un jour, en réalité. Il en avait tellement manqué pendant toute sa vie, qu'il ne savait pas comment les gérer maintenant qu'il en recevait, le quart de siècle passé. Cela lui paraissait naturel, néanmoins. Il ne faisait plus de grimaces gênées et n'avaient plus de mouvement de recul, comme il avait pu en avoir avec le peu de femmes qui s'étaient risquées à lui faire preuve de leur affection, avant Denya. C'était avec elle, avec ce bout de femme, qu'il avait appris à accepter les marques d'attention. Il n'avait même pas eu besoin d'un temps d'adaptation ; ça s'était fait de la plus naturelle des façons. Et avec Scar, c'était du pareil au même. Il se sentait réellement bien avec elle et ne ressentait aucune gêne. Ils avaient une vraie complicité, c'était indéniable ; de là à lui faire des bisous sur la joue où à l'appeler Princesse, il y avait encore du chemin.

Il lui avait suffit d'un regard dans le saladier de Terry pour se rendre compte de l'ampleur de la situation. Et, à la plus grande surprise de l'apprenti cuisinier, elle s'était contentée de tout mettre à la poubelle.
« T'es sérieuse ?! » s'écria-t-il, les yeux écarquillés. « Tu fous tout à la poubelle, comme ça ? »
Il resta dubitatif l'espace d'un instant, avant d'éclater de rire. Rire, bon dieu que cela lui faisait du bien. Rien pour rien. Rien pour tout. Rien pour n'importe quoi.
« Faut croire que ce n'était pas récupérable... Désolé petits africains. »
Terrence mit les mains sur le cœur et leva la tête en l'air, comme s'ils s'adressaient à tous les souffrants de famine dans le monde, pour leur exprimer sa peine. Terry secoua ensuite la tête, un sourire aux lèvres. Il observa ensuite Scar qui, avec la plus grande des habiletés, cassait à la perfection les œufs et les répartissaient sans problème dans chacun des saladiers. Les jaunes dans l'un, les blancs dans l'autre. Il haussa les sourcils, épaté de la voir réaliser avec autant de facilité quelque chose qui lui avait paru comme une montagne insurmontable.
« Ouais, bah alors quand tu vois l'étendue de mon expérience avec les femmes, on est pas trop surpris de ma nullité en cuisine. »
L'auto-critique, il avait appris ça récemment aussi. Alors qu'il était auparavant de nature susceptible et qu'il prenait tout ce qu'on lui disait au premier degré, il avait appris à décerner l'humour de la réelle critique, et réussissait à se lancer des piques à lui-même quand la situation s'y prêtait. Cela lui permettait de dédramatiser. Et, en effet, son expérience avec les filles était plutôt limitée, même s'il avait vingt six ans à son compteur. Pour tout dire, Denya était la relation la plus longue et la plus sérieuse qu'il n'ait jamais eu, et leur idylle n'avait duré que trois mois. Certes, elle aurait duré bien plus longtemps et durerait peut-être même encore s'il n'avait pas fallu à Terry de revenir à White Oak Station, mais toujours était-il que trois petits mois était son record. Avant Denya, il n'y avait jamais rien eu de sérieux ; il n'y avait pas beaucoup eu tout court. Il avait perdu sa virginité au lycée, quand les gens ne le trouvaient pas encore trop bizarre. Après ça, il avait eu quelques relations, purement sexuelles et qui ne dépassaient jamais la soirée, majoritairement avec des camées comme lui, d'ailleurs. C'était un exploit qu'il n'ait attrapé aucune maladie, d'ailleurs.
« Bon, et le chocolat je le coupe comment en douceur ? Tu m'expliques ? »
Terry se dirigea vers l'armoire et récupéra deux plaquettes de chocolat noir. Du soixante-dix pour cent, pas moins. Il n'avait pas trouvé plus, au supermarché.
« Sérieux, le fondant au chocolat c'est pas censé être le gâteau le plus simple à faire ? Ou y a le gâteau au yaourt avant lui, dans le classement ? »
Il rigola, avant de tendre à Scar les tablettes. Il était persuadé que s'il se lançait dans la découpe tout seul, il ferait de nouveau un carnage. Pourtant, cela semblait tout aussi simple, si ce n'était plus, que de casser des œufs...
« Et t'es sûre que la grand-mère a pas besoin de ton aide ? »
Il jeta un regard par la fenêtre, et vit sa grand-mère le sourire aux lèvres, observant les deux jeunes cuisiner. Terry lui rendit son sourire, si tant est qu'elle puisse l'apercevoir depuis là où elle était. Bien sûr qu'elle était heureuse, la grand-mère. Comment aurait-elle pu ne pas l'être alors que son petit-fils, qui était dans un état plus que lamentable il y a de ça quatre ans à peine et pas énormément mieux il y a de ça tout juste deux ans, riait aujourd'hui avec la plus grande des sincérités, grâce à la simple présence d'une jeune femme aux cheveux colorés ?
« Et au fait, vous vous marriez pourquoi tout à l'heure ? J'me battais avec mes œufs, mais croit pas pour autant que j'ai rien vu. »
Il rigola de nouveau, légèrement, avant de donner une pichenette dans une coquille restée collée à son doigt, visant Scar. Malheureusement, la coquille finit sa course... dans le saladier de blancs d’œuf.
« Oups. »

   

scar & terrence
a little help is all he needs
« Des œufs vengeurs, on aura tout vu. » Terrence était assez dépassé par tout ça, par la cuisine, alors que ce n'était que le début et que c'était loin d'être gagné pour la suite. Mais cuisiner, il n'en avait jamais pris l'habitude, et il n'avait aucun automatisme dans ce domaine. Qu'on lui donne n'importe quel outil, il ne mettait pas plus de cinq secondes avant de savoir à quoi il pouvait servir, mais alors manier des ustensiles, c'était une toute autre histoire. « Oh pardon, c'est vrai que Mâdâme a vu le monde entier, déjà. » Il rigola légèrement, la taquinant. Ils n'avaient encore jamais eu l'occasion de parler en détails des voyages de Scar, mais Terry savait du peu qu'elle lui avait dit, qu'elle avait déjà visité un paquet de pays différents. Après tout, cela ne faisait que deux semaines tout au plus que la jeune femme habitait avec eux au manoir et, même si une surprenante complicité s'était développée entre les deux, ils n'avaient encore pas pris le temps de se pencher sur les histoires personnelles de l'un ou de l'autre. Cela ne tarderait certainement pas, néanmoins. Terrence sentait au plus profond de lui qu'il pouvait lui faire confiance. Qu'il pourrait lui parler sans qu'elle s'ennuie, qu'il pourrait lui parler avec plaisir, sans s'en sentir forcé. C'était quelque chose d'inhabituel, pour lui. Il l'avait expérimenté pour la première fois avec Denya, quand il était retourné en Écosse. Cela lui avait fait bizarre d'avoir une vraie discussion avec quelqu'un d'autre que sa famille proche - et encore, il n'avait jamais autant parlé avec sa grand-mère qu'il l'avait fait avec Denya. Mais, Terry avait dû partir au bout de trois mois, quittant par là-même sa dulcinée et cette étrange facilité qu'il avait à lui parler, et qu'il n'avait pas retrouvé jusqu'à rencontrer Scar. Il ne pouvait pas nier que cela lui faisait un bien fou. Bien sûr, Terrence était revenu changé d'Écosse, il était devenu un peu plus ouvert qu'auparavant, un peu moins froid. Mais l'influence qu'avait Denya sur lui s'était évaporée alors qu'ils étaient dorénavant éloignés de plus de six mille kilomètres. Il s'était senti étriqué, frustré de ne pas avoir, ici à White Oak Station, une connexion aussi forte qu'il avait avec elle. Et puis, Scar avait débarqué, portant son gros sac de voyage sur le dos, les cheveux multicolores. Une fille comme il n'en avait jamais vu auparavant, et vers qui il ne serait probablement jamais allé s'il l'avait aperçu deux ans plus tôt. Mais, quand il était passé près d'elle en voiture ce jour-là, quelque chose chez elle l'avait attiré. L'avait fait sentir en terre connue, lui avait inspiré la confiance. Il avait tout de suite su qu'il s'entendrait avec elle ; il ne se doutait pas à quel point. « Enfin, même si les Africains ont des poules et des œufs à foison, je doute qu'ils se fassent des fondants au chocolat tous les dimanches. » Terry soupira. Égoïstement peut-être, il était en réalité plus préoccupé par son piètre niveau culinaire que par le sort des Africains. C'était trop loin, pour lui. Irréel. Et il avait malheureusement trop de problèmes personnels pour tenter de résoudre ceux des autres ; même si, bien sûr, ce n'était pas avec ce genre de réflexions que l'on faisait avancer les choses. « T'es certaine que tu veux me confier cette tâche ? C'est bien probable que je fasse tout foirer. » Mais, comme il n'avait pas envie de tout gâcher une nouvelle fois, Terrence prit tout le soin du monde pour casser l'ultime œuf nécessaire à la recette. Doucement, mais fermement. C'est avec ces indications en tête que Terry entreprit de casser son ennemi numéro un. Et avec force précaution, ce fut un grand succès. « Yes ! Yeees ! » Il fit un mouvement du bras pour exprimer sa joie d'avoir réussi, et s'empressa d'aller jeter la coquille à la poubelle. C'était une grande victoire, un petit pas vers la maîtrise totale et systématique du cassage des œufs. « Faut croire que j'ai été assez délicat. Mais bon, je m'y risquerais quand même pas trop souvent. » Il ricana : il lui fallait de l'entraînement, oui, mais il n'allait pas s'amuser à gaspiller vingt-cinq œufs pour arriver à les ouvrir sans trop de dégâts. Terrence passa alors à la seconde tâche importante dans la réalisation de la recette : le chocolat. Pendant que Scar s'occupait du reste de la pâte, il s'affaira à casser la tablette. Rien de trop difficile jusque-là. « Un bain quoi ? Marie ? C'est qui celle-là ? » Il rigola de nouveau, se moquant de lui-même au passage. Il se doutait bien qu'aucune femme n'était concernée, mais il n'avait jamais entendu parler de "bain-marie". Il se rendait compte à quel point il manquait de connaissance en cuisine. En fait, il manquait de connaissance en beaucoup de choses. Il avait été pendant trop longtemps enfermé dans son propre monde. Il avait été emprisonné dans la quête loufoque que son grand-père lui avait confié, baigné dans les légendes et mythes écossais. De ça, il était presque incollable. De la mécanique automobile et motocycle aussi, d'ailleurs. Mais du reste... Terry n'avait quasiment aucune connaissance dans quoi que ce soit, et dire qu'il était inculte était assez proche de la réalité. Il espérait que Scar pourrait lui en apprendre plus, elle qui devait avoir la tête pleine à craquer de connaissances en tout genre. En attendant, il se concentra sur ce qu'il avait à faire. La jeune femme lui apprit que le fondant au chocolat, qu'ils étaient en train de cuisiner, était son gâteau préféré, ce qui était plutôt une bonne nouvelle mais aussi une pression supplémentaire, et qu'elle et la grand-mère de Terry avaient parié sur le temps avant lequel il aurait besoin d'aide. Puis, sans qu'il ne s'y attende, trop concentré sur Scar rattrapant la nouvelle bourde qu'il avait fait, il se prit une poignée de farine en plein visage. Il écarquilla les yeux et cligna plusieurs fois des paupières. « Ah ouais ? Ah ouais ? » Il rigola à son tour, puis attrapa à la volée une poignée de farine qu'il balança en direction de Scar. Celle-ci atterrit dans ses cheveux, et Terrence éclata de rire. « On fait moins la maline, hein ? Tes cheveux sont tout de suite moins coloré comme ça. » Il secoua la tête, un sourire aux lèvres. Il était prêt à parier qu'ils avaient présentement le comportement d'adolescents. C'était ce qui lui faisait du bien, à vrai dire. Vivre un peu de l'adolescence qu'il n'avait pas eu, lui qui était passé directement de l'enfance à l'âge adulte, sans sas d'adaptation. « Attention, hein ! » menaça-t-il avec humour son amie, la pointant du doigt. Il se passa ensuite la main sur le visage, pour y retirer la farine. « Bon, on en fait quoi de ce chocolat ? On le baigne-marie ? »