no finance. no romance.

   ~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
le lycée, on est content que ça se termine et pourtant, quand on voit comment c'est pas facile après, on serait prêt à y retourner la queue entre les jambes. honnêtement, quand je serais vieux, j'espère que je dirais pas que c'était la meilleure période de ma vie. pas de potes, pas de bonnes notes et une raclée qui m'attendait chaque soir en rentrant. je suis pas un gars scolaire. j'aime lire, mais je sais pas expliquer pourquoi le ciel est bleu au dessus d'Oliver Twist et pas gris. je sais compter mais me demande pas comment une lettre peut être le résultat d'une multiplication. j'en sais rien. allez, y'avait quand même un truc chouette au lycée : l'équipe de basket. parce qu'il faut bien que j'sois bien en quelque chose voyez ? au moins tant que je marquais, on savait mon nom, mais en dehors du stade, j'étais rien. enfin, le lycée est terminé, et maintenant la vie, c'est autre chose.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
disons que je suis satisfait. je pense pas qu'on puisse se qualifier d'heureux quand on se contente de vivre chez son meilleur pote sans même pouvoir gagner de quoi lui rembourser les courses. on peut pas se qualifier d'heureux quand on se contente d'un job trouvé comme ça parce qu'on a du faire une croix sur la seule chose à laquelle on est bon. alors non, je suis pas heureux. mais j'suis pas spécialement malheureux non plus. j'ai un toit sur la tête, j'arrive à rire tous les jours et puis, je suis moins dans la merde qu'avant. alors, on va rester sur l'idée que j'suis satisfait de mon quotidien.  

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
pas là. je sais pas exactement où, mais il est clair que j'aimerais faire autre chose que de rafistoler des bagnoles que je pourrais pas m'payer tout en comptant les trois pièces que j'ai dans ma poche pour voir si c'est assez pour m'payer des chips. nan, j'aimerais avoir un vrai boulot, vivre dans une grande ville et si possible avec une nana qui ne regardera pas mon meilleur ami plus que moi. j'aimerais que les choses soient stables, et simples. et bordel, qu'on arrête d'me faire chier.

Il y'a deux ans.

BARBARA, MOIRA & ARNOLD
(Sa mère, sa sœur et lui )
_ Maman ? tu nous emmènes où là ?
_ Chez ma sœur, il ne nous retrouvera pas là-bas.
_ Une sœur ? Depuis quand tu as une sœur ? Tu ne nous l’as jamais dit. Elle sait qu’on vient au moins ?
_ Sois pas idiot, ça fait des mois que j’essaye de nous emmener là-bas.
_ Là-bas où ? Je veux pas partir moi, je dois aller au cinéma avec Jason demain.
_ Moira, tu parleras quand on te posera une question, t’as qu’à dormir !
_ euuuh .. Tu t’es pris pour le patron là ? T’es pas papa et je proteste si je veux.
_ Je suis l’aîné, ça me donne le droit de te dire de la fermer quand j’estime que tu parles trop.
_ Mais va te faire foutr… !
_ LES ENFANTS ! Les choses sont assez difficiles comme ça, allez soyez tranquille.
_ Tu nous emmènes où maman ?
_ Loin, comme j’aurais du le faire il y’a des années.
_ Il nous retrouvera tu sais ?
_ Mais non, il ne nous cherchera pas.
_ Moi j’ai peur, imagine ce qu’il fera s’il sait qu’on part.
_ Il nous cherchera pas avant demain, vous n’avez qu’à dormir, on arrivera plus vite.
_ Maman, tu veux pas que je conduise, t’as pas l’air tranquille.
_ Quoi ? Mais si, tout va très bien. Je veux juste quitter White Oak avant qu’on puisse nous rattraper.
_ Oui mais …
_ MAMAN ATTENTION !  


Le cri perçant de Moira a longtemps été mon pire cauchemar. C’est comme une chanson, un tube qui passe et repasse encore dans votre tête et qui se termine toujours de la même façon pour bien montrer que l’on n’échappe pas à la fatalité C’est comme un huis-clos, toujours cette scène qui passe en boucle comme si à force de visionnage je pouvais changer son scénario. C’est comme un coup de couteau qui revient à chaque fois pour s’assurer que je suis bien mort. Et toujours la même douleur, toujours la même horreur. Finalement c’est peut-être ça l’enfer et cette scène que je revisite sans cesse est mon châtiment. Si seulement je pouvais comprendre. Si seulement je pouvais vraiment savoir. Parce qu’à part tout ce que je ressens, je me sens juste comme devant un puzzle que je tente de reconstruire. Où suis-je ? Qui suis-je ? Que s’est-il passé ? Je suis prisonnier et je suis en prison, voilà tout. Et je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas pour combien de temps. Mon corps quand j’essaie de m’enfuir, il reste inerte. Je ne le sens pas. Il n’y a que moi et ce que je vois. Et ce que je vois, ce n’est pas la porte de sortie, juste ce cauchemar qui n’a pas de sens. Je me souviens alors qu’au début mon corps me faisait souffrir et que c’est pour ça que je l’ai oublié mais, je n’ai plus mal maintenant. La douleur, elle est dans la tête ou bien dans le cœur, mais pas dans mon corps alors j’essaie de le récupérer. Lentement. Pendant que la scène passe encore, j’essaie de tendre le bras pour l’arrêter mais rien ne se produit. Je ne suis pas assez fort. De toute façon, on ne se bat pas contre la fatalité n’est-ce pas ? Mais pourtant, je n’arrête pas d’essayer. J’essaie parce que je sens quelque part que c’est ce que l’on veut et que je ne dois pas lâcher alors je continue à vouloir m’enfuir. Et à la fin, j’ouvre les yeux.  « Arni ?»

Peter est la première personne que j’ai vu à mon réveil. Il était pâle et fatigué. Il m’a d’abord regardé comme s’il était en train de rêver. Surpris, on s’est regardé un long moment avant qu’il réagisse et moi, pendant ce temps je ne pouvais que constater l’endroit où je me trouvais et comprendre ce qui a pu se passer. Une chambre d’hôpital et Peter avec qui laissait présager qu’il n’avait pas beaucoup dormi dernièrement. Il a compris alors, que j’étais réveillé et moi, j’ai paniqué. Total blackout, je me suis réveillé une deuxième fois que quelques heures plus tard.

PETER & ARNOLD
(Son meilleur ami, lui)
_ Putain, tu nous as fait peur mon con.
_ Si tu veux mon avis, c’est toi qui fais peur. T’as l’air plus mort que moi.
_ Oui, mais c’est pas moi qui ai traversé un pare-brise.
( silence)
_ Ouais, maman me disait toujours d’attacher ma ceinture. Si ma cervelle me le permet, je m’en souviendrais la prochaine fois.
_ Arni, t’es obligé de déconner dans un moment comme ça ? Tu ne veux pas qu’on en parle ?
_ Il n’y a rien à dire. Je choisis de gérer les choses à ma façon, si t’es pas d’accord, tu peux me laisser seul.
(silence, Peter s’assied et sourit)
_ Et rater le passage de l’infirmière ? Mec, c’est pour elle que je suis à ton chevet, qu’est-ce que tu crois ?

Chacun a sa manière de gérer le deuil. Ma mère est morte ce fameux soir. Moira a survécu, mais dans quel état. Je n’ai pas été autorisé à la voir avant ma sortie. Je l’ai eu au téléphone, elle a pleuré, j’ai pleuré et après ça, j’ai décidé de me ressaisir. Cinq mois ont passé depuis l’accident. J’ai choisi de mettre ça derrière moi et de redevenir comme j’étais. Peter a compris. Peter comprend toujours. Il n’était pas d’accord mais quel choix avait-il ? On ne peut pas reprocher à quelqu’un de vouloir aller de l’avant et quand bien même, ma peine ne regarde personne d’autre.

J’ai eu plusieurs visites à l’hôpital, des gens du lycée principalement, des gens à qui je n’avais parlé que très peu de fois et dont j’ignorais les prénoms. Ils se sont placés autour de moi à raconter des souvenirs de lycée dont j’étais censé faire partie, sauf que non, je n’avais jamais invité, je n’avais jamais été quelqu’un. Peter a dit que c’était l’occasion pour moi pour me faire dorloter par les nanas. Mais moi, ce que j’en ai dit, c’est que ces gens-là étaient des profiteurs venus pour copiner avec l’éclopé et se faire bien voir et les filles, des pleureuses qui ne sont là que parce que maintenant on connait mon nom et que l’accident était malheureux. Ces gens ont pitié et moi pas besoin d’eux. A part Peter, je n’aimais que la visite d’Alma, sa copine, qu’il a rencontrée sur les bancs de la fac pendant mon « absence ». Au final, je ne sais même pas comment ça s’est fait, mais j’aimais qu’il ait amené cette fille. Elle s’occupait de moi, sans même me connaître. Maintenant je pense qu’elle n’aurait pas dû.

Aujourd'hui


ALMA, ARNOLD
(la copine, lui)
_ Hey ! Pourquoi tu te caches ? Y’a tout le monde là-bas.
_ Hey Arni !
_ Vous vous êtes encore disputé ?
_ C’est si évident que ça ?
_ Disons que j’ai eu mes indices. Tu veux en parler ?
_ Y’a rien à dire, demain ce sera fini. Je suis fatiguée Arni.
_ Bwaarf, tu sais bien que peu importe ce qu’il fait, il le pensait pas. Il a besoin de toi Alma.
_ C’est toi qui le dis, ça fait longtemps qu’il a plus besoin de moi.
_ Justement, si je le dis, c’est que c’est vrai.
(sourire d’alma)
_ Tu es si gentil.

Oui, gentil. Et évidemment, elle a pas rompu avec. On peut pas être gentil et plaire aux filles.