~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
   Le lycée. Danny n’en a pas de mauvais souvenirs. Il était du genre solitaire, pas populaire, mais pas persécuté pour autant. Il en imposait. Il était grand, il avait une bonne gueule, il n’était pas con et on le laissait tranquille. C’était tout ce qu’il demandait. Il n’était pas du genre très causant. Assis au fond des salles, il ne participait que lorsqu’on ne lui laissait pas le choix. Il avait ce coté mystérieux, qui plaisait à certains, et bien que solitaire, il n’a jamais connu la solitude. Son regard sombre en faisait vibrer plus d’un, et il le savait. Il s’amusait, quelque fois, à séduire, pour flatter son ego, sans aucune prétention. Il a toujours aimé l’école, d’une certaine façon. Danny a toujours été habité par une curiosité dévorante, sans être malsaine. Il avait de bons résultats. Il avait quelques facilités, qu’il n’exploitait pas. Tout ce qu’il voulait, c’était ramener un bulletin correct pour que son père soit satisfait et le laisse tranquille. C’était la condition du statu quo qui s’était installé entre eux. Il ne se mêlait pas de ses affaires, tant qu’il était un bon élève, et lui pouvait faire ce qu’il voulait, dans la limite du raisonnable. Son père a toujours eu une vision quelque peu déformé de lui, et Danny a toujours tout fait pour cultiver cet image de petit garçon propret et sans histoire, au risque de ne pas savoir comment s’en défaire. De son enfance, de ses années lycées, il en garde un caractère réservé, une difficulté de parler de soi, de se livrer, à part à travers ses dessins et sa peinture. Peu de personnes le connaissent réellement pour ce qu’il est, et ceux qui se vantent d’avoir percé la coquille font souvent mauvaise route.

      ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
   Danny n’est pas heureux, mais il n’est pas pour autant malheureux. Il se plait, il apprécie ce qu’il fait, il n’a de compte à rendre à personne, à part peut-être son boss, et c’est tout ce qui importe. La liberté, en d’autres mots. Il a des remords, pourtant. Celui de ne pas être allé dans cette école, alors qu’il avait été accepté. Celui de ne pas avoir suivi son rêve, pour payer les médicaments de son père, et combler les vides que sa sœur a creusé chez Shaun, son petit neveu de cinq ans. Celui d’avoir sacrifié son avenir pour cette chose sacrée qu’on appelle famille. Il n’est pas malheureux, mais a tout, en apparence, pour être heureux. Son sport. Sa peinture. Son neveu. C’est tout ce dont il a besoin. Pour l’instant. Il n’est pas malheureux, mais ça lui arrive, lorsqu’il est seul dans sa chambre mal isolée, de pleurer, de craquer, sans réel raison, en relâchant simplement la pression. En repensant à la vie qu’il aimerait mener. En pensant à ce qu’il rate, en essayant de comprendre qui il est vraiment. Mais le petit sourire de Shaun le ramène toujours à la réalité. Il n’a pas le droit d’être faible. Il se doit d’être fort pour lui, d’être là pour lui.

      ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
      Danny se sent beaucoup plus à l’aise à vivre dans le présent que dans le futur. Il ne fait plus aucun projet, même si son rêve est toujours présent, quelque part en lui, et qu’il refait surface de temps en temps. Il n ’aime pas se projeter, et il aime encore moins qu’on lui demande de le faire. Il n’arrive pas à s’imaginer hors de cette maison qu’il partage avec sa sœur et son père. Il se voit derrière ce bar. Il se voit en train de continuer à faire des graffitis, à dessiner dans son carnet, à peindre dans la cave de la maison. Il pense à Shaun, à quinze ans, et ça le fait sourire, tout en lui faisant peur.

PRÉNOM ET/OU PSEUDO: Low. ÂGE: Vingt-trois. PAYS: France. PRÉSENCE: 7/7. COMMENT AVEZ-VOUS CONNU LE FORUM? Bazzart.  PERSONNAGE INVENTÉ OU SCÉNARIO? Scénario. J'ai craqué, et j'aime pas ça   . AUTRE CHOSE À AJOUTER? Ca a l'air d'être pas mal par ici, right ?    

« Tu peux t’occuper de Shaun ? ». Il avait eu à peine le temps de poser ses clefs que Déb était déjà sur lui. Couchée sur le canapé, elle était en train de regarder la télé. Sur le fauteuil, devant la fenêtre, leur père dormait à poing fermé, un cendrier plein à craquer à ses côtés. Le petit jouait avec son talkie-walkie, une antiquité qui avait appartenu à Danny quand il était plus jeune. Son meilleur ami avait le second et ils avaient l’habitude de passer des heures à discuter ensemble jusqu’à en épuiser les batteries.

« Je travaille tout l’après-midi et je comptais rejoindre Damian ce soir. Il part pour Toronto et je ne sais pas quand je le reverrai ». Danny avait planifié cette soirée depuis longtemps. Il ne pouvait pas la rater.

« Je dois ramener papa chez lui et après j’ai dit à Scott que je passerai le voir ». Déb avait cinq ans de plus que lui et tout ce que l’on pouvait dire, c’est qu’elle n’avait pas héritée du gêne « de la famille ». Danny était comme leur mère, mais Déb n’avait aucun sens maternel. Du moins c’est ce que Danny pensait, au fond de lui, sans jamais le dire à haute voix. Shaun avait levé les yeux de son talkie-walkie, attendant de savoir où il allait être traîné ce soir. Danny s’occupait constamment de Shaun. Lui et sa sœur habitaient la même petite maison, assez grande pour trois, mais sans aucun luxe superficiel. A cinq ans, Shaun n’avait jamais connu son père, qui avait foutu le camp lorsque Déb lui avait annoncé sa grossesse. Danny jouait le rôle du père de substitution. Il se devait d’apporter à Shaun une image positive, comme lui répétait Déb. Cela ne lui a jamais posé de problème. Il adorait Shaun. Mais il devait se sacrifier. Renoncer à des week-ends, à des heures de temps libre pour s’occuper du petit.

« C’est pas grave, je laisserai Shaun avec papa ». Danny soupira. Déb savait qu’il ne laisserait jamais Shaun chez leur père, un homme malade qui avait déjà des difficultés à s’occuper de lui-même. « Shaun, va mettre tes chaussures, on va faire un tour ». Danny reprit ses clefs. Il regarda Shaun forcer ses pieds dans ses baskets qui méritaient d’être changés. Le gamin leva les yeux vers son oncle et sourit. « Je peux conduire ? » demanda-t-il. Danny lui jeta les clefs. Shaun les attrapa en plein vol. « Bien sûr champion, va mettre la voiture en route ». Déb le remercia d’un sourire, alors qu’elle tentait de réveiller leur père.

***

Danny n’avait pas eu d’autre choix que d’amener Shaun au pub. Son neveu était dans la petite salle réservée au personnel. Danny lui avait donné des feuilles et des stylos, afin qu’il dessine et que le temps ne soit pas trop long. Shaun avait l’habitude de venir ici, et le boss de Danny n’y voyait aucun problème, du moment que le petit restait dans la salle privée. Shaun était un gamin calme. Il suffisait de lui demander de rester à un endroit pour qu’il y reste, sagement. Malgré la mère qu’il avait, il était parfait. Drôle, pour son âge, terriblement malicieux et intelligent. Danny sortit de derrière le bar pour aller jeter un œil à l’intérieur de la salle. Shaun dessinait sur les feuilles que le patron lui avait donné. « Tout va bien, champion ? ». Le petit répondit en levant le pouce en l’air. « Bientôt fini, il ne reste qu’une petite heure et après, on va voir Damian ». Le petit ne leva pas les yeux de sa feuille. « Damian est cool ».

Les après-midis étaient calmes, en général, à l’Old Pub. De retour derrière son bar, son boss lui fit signe de venir vers lui. « Tu peux aller voir ce gars ? Prendre sa commande, ou lui demander de partir ? ». Danny se contenta d’hocher la tête et se dirigea vers l’homme qui pianotait sur son ordinateur. Il attrapa son torchon qu’il mit sur son épaule et posa ses coudes sur le comptoir. « Vous voulez boire quelque chose ? C’est généralement ce qu’on fait dans un bar. Et vous n’avez encore rien commandé ». Danny sourit, pour lui faire comprendre qu’il préférait qu’il prenne quelque chose plutôt qu’avoir à lui demander de partir. Un sourire commercial. Rien de plus. Lorsque le jeune homme tourna la tête vers Danny, le barman ne put s’empêcher de se dire qu’il avait un putain de regard, puissant, pas des yeux vitreux sans expression. C’était ce que Danny regardait le plus, chez les autres. Le regard. Tout peut se dire à l’aide d’un simple regard. Et le sien était plus qu’intriguant.

***

« Tu devrais venir à Toronto ». Danny avait fini depuis une demi-heure et était parti chercher son meilleur ami, Damian, pour le conduire jusqu’à un parking où il était censé retrouver un groupe d’ami avec qui il partait pour Toronto. « Ok ». Danny n’était pas sérieux, et Damian l’avait très vite compris. « Je suis sérieux, je peux te prendre un billet d’avion, ou alors tu montes dans ta voiture et tu te tires d’ici. Y’a rien pour toi, ici ». Danny regarda dans le rétroviseur. Shaun faisait semblant de dormir dans son siège, sur la banquette arrière. Damian, encore une fois, avait compris. Il soupira, ouvrit la fenêtre et s’alluma un joint. « Mec, il a cinq ans ». Damian se retourna. « Il dort ». « Ouais, il aime faire exprès ». Shaun rouvrit les yeux, satisfait de lui. « Ça sent comme les cigarettes de Scott ». Danny regarda à nouveau son neveu dans le rétroviseur. « Qui est Scott ? » demanda Damian. « Le nouveau petit-ami de Déb, pour la semaine, du moins ».

Le reste de la route fut silencieux. Danny pensa à Shaun, à Déb, et à l’image qu’elle lui offrait. Il pensa à ce Scott, qu’il n’avait vu qu’une ou deux fois, mais qu’il n’aimait pas. Déb avait l’habitude de tomber rapidement amoureuse, tout comme Danny avait l’habitude de s’attacher rapidement aux autres. Mais Déb allait toujours trop loin dans l’attachement, et jamais un homme n’était resté avec elle plus d’une année. Shaun n’avait jamais connu son père, mais avait toujours connu sa mère avec un homme différent. Danny pensa à Damian, et à ce qu’il lui avait dit. Partir de White Oak ?

« Tu réfléchis à ce que je t’ai dit, ok ? Et tu devrais réessayer de t’inscrire à ton école, ou alors à l’université de Toronto. Tu pourras rester chez moi et mon frère aussi longtemps que tu veux. Tires toi au moins de White Oak ». Danny se contenta d’enlacer Damian, au milieu du parking où l’attendait d’autres amis de l’université. « Je ne peux pas, je suis coincé », souffla-t-il en un sourire, alors que Shaun enlaçait à son tour Damian. « Tu fais chier, l’artiste ».