Tu viens de courir une heure. T'en as vu des têtes défiler, mais t'y as pas vraiment fait attention, t'avais ta musique dans les oreilles, t'étais dans ton petit monde. T'aperçois la place, et puis la fontaine. Tu ralentis, te mets à marcher dans sa direction. T'es essoufflé, mais ça y est ça commence à venir, tu commences à ressentir cette sensation de bien être que tu ressens à chaque fois que tu viens de faire une activité physique. « Le bien-être physique est défini par la sensation d'une bonne santé physiologique générale, d'une satisfaction des besoins primordiaux du corps. » Putain ce que t'as soif ! T'as l'impression d'être dans le désert et la fontaine représenterait une oasis. Ouais tu vas aller boire dedans. Ouais t'es un type un peu dégueulasse sur les bords, et ouais tu t'en branles des gens autour de toi. Mec tu crèves la soif et t'as pas pris de bouteille d'eau, alors ouais t'emmerdes le monde et tu vas aller boire dans la fontaine comme un porc. C'est ça la vraie vie, faut pas se prendre la tête. Au pire tu resteras un peu plus longtemps sur les toilettes ce soir. De toute façon t'as un estomac d'acier, rien ne l'arrête !
Après t'être abreuvé, tu t'assoies tranquillement sur le bord de la fontaine et sort ton matériel pour te rouler une petite cigarette magique. T'essayes d'être discret même si tu viens d'attirer l'attention de tout le monde en buvant dans la fontaine comme un clebs abandonné. Putain des fois t'as vraiment envie de rire de toi-même. T'es un cas mec. En plus tu viens de faire du sport, tu vas tirer sur ton joint à poumons ouverts, tu vas bien te déchirer. Tant pis, t'as besoin de te détendre avant de rentrer chez toi.

A la maison c'est juste plus possible de respirer. Je crois que décidément, mon père ne se remettra jamais de la transformation de son fils. Je crois aussi qu'il va finir par entrainer ma maman dans ses conneries et c'est la seule qui semble encore un minimum fière d'avoir un fils comme moi qui prends son indépendance et qui se rebelle un peu. Pourtant, il aurait eu le temps de s'y faire. Ca fait un bon moment que j'ai troqué mes chemises et mes cravates de BCBG et que je suis batteur dans le groupe. Ca fait un moment que mes notes chutent parce que j'en ai gentiment plus rien à foutre de l'école. J'ai envie de bosser dans la musique, j'ai envie que notre groupe aille loin, j'ai envie que dix ans encore on continue de faire des concerts. Comme le groupe The Fray. J'ai pas besoin de savoir me servir d'un compas ou d'une quelconque formule de chimie débile... Du moment que j'assure en français pour écrire, le reste je m'en fiche pas mal. Mais ça non plus, ça ne plaît pas à mon père qui voudrait que je reprenne l'affaire familiale...

Alors au bout d'un moment, j'en ai marre. Je pars de cette maison, un sac sur l'épaule et mes deux baguettes de batterie accrochées sur le côté. Je pars avec la carte de crédit de maman aussi parce que je sais qu'elle m'en voudra pas. Et je marche. Dans toute la ville. Je vais nul part et partout à la fois. Mes deux meilleurs amis pourront bien m'accueillir chez eux non? Au pire j'ai gardé quelques numéros de filles aussi. Autant allier l'utile à l'agréable après tout? Mais dormir à la belle étoile c'est pas mal non plus. Je me dirige directement vers le parc de la ville. Je pourrai me poser dans un coin, composer, boire un truc et quand il fera nuit, j'étendrai mon sac de couchage qui ressemble à une capote et je compterais les étoiles avant de m'endormir. Ouais c'est bien ça. On verra demain pour embêter les potes. Tiens. Quand on parle de pote... Je distingue Puck assis sur le bord de la fontaine. Je souris bêtement avant de me diriger directement vers lui, laissant tomber mon gros sac sur le sol. « Salut! » A l'odeur, je devine tout de suite ce qu'il fume. S'il me propose une taffe, je tirerai dessus, sinon je la lui laisserais. En attendant, je me contente de le regarder. Il est en tenue de sport mais il se fume un joint. Ce garçon m'étonnera toujours. « Tu t'aères les poumons? » demandais-je ironiquement.

Alors que t'es en plein atelier de roulage, appliqué dans ta tâche, Buck rapplique. Bah tiens ! Le hasard fait bien les choses, il arrive pile au bon moment ce petit veinard ! Ce qui est bien quand vous êtes liés tellement fort avec des personnes, c'est que vous êtes rattaché à elles en permanence, en voilà encore aujourd'hui la preuve, alors que ce n'était pas prévu du tout, je me retrouve avec cet imbécile de Buck qui.. transporte un sac à dos presque plus gros que lui ? Tiens tiens. « Salut! » « Eh mec ! Ca fait plaisir de te voir ! Qu'est-ce que tu fous ici ? » Il louche sur le joint, fin prêt. « Tu t'aères les poumons? » « Il me faut bien ça ! » C'est vrai qu'avec les embrouilles avec ta copine, les tensions à la maison et la légère haine que t'éprouves envers Chuck en ce moment (parce qu'il a intégrer Allie au groupe et Puck trouve qu'elle n'a pas sa place dans le trio) tu l'as mérites ta petite dose de bonheur.
Tu baisses ton regard en direction du sac et le secoue avec ton pied. « Qu'est ce que tu caches là dedans ? » Tu portes le cône à tes lèvres et lui fait signe pour lui demander du feu. Il doit bien en avoir un qui traîne dans son gros paquetage !
Il y a deux ans de ça, demander du feu à Buck aurait été un truc irréaliste, mais maintenant ça te semble tout à fait normal. Ce mec s'est dévergondé d'une manière et d'une force qui ne font que tu ne peux que l'admirer. Un radical changement qui ne lui a fait que du bien, selon ton point de vue. Après c'est vrai qu'il a fait pas mal de petites boulettes et tu as un léger pré-sentiment qui te dit que ce sac à dos fait partie d'une nouvelle embrouille. Tu le regardes avec les yeux écarquillés, impatient de savoir.

Puck ne pouvait pas mieux tomber. J'avais exactement besoin de ça; retrouver quelqu'un avec qui je m'entends vraiment bien pour ne pas penser au fait que je viens de me casser de chez moi avec seulement un sac à dos et une carte de crédit. Ca pourrait être pire; je pourrais ne pas avoir ce petit bout de plastique et je serais condamné à vivre sans clopes, sans nourriture et sans fringues chaudes. Mais ça serait mieux si j'avais un pieu quand même. Quoi qu'il en soit, je me gêne pas pour aller m'installer à côté de mon ami. « Eh mec ! Ca fait plaisir de te voir ! Qu'est-ce que tu fous ici ? » Je hausse les épaules. « Moi aussi j'prends l'air. » Ca, pour prendre l'air, je vais le prendre ces prochains jours. Je ne suis même pas sûr que je vais revoir une baraque de si tôt. Mais c'est pas bien grave. J'aime pas spécialement les espaces confinés. A part quand c'est dans mon garage et que je suis avec mes potes, assis derrière une batterie. Ca, c'est ce que je préfère. « Qu'est ce que tu caches là dedans ? » Je ricane. « Un corps! » Il n'y a que mes blagues qui me font rire. Faut croire qu'on a pas tous le même humour... Je secoue la tête avant de me mettre à fouiller dans mon sac pour trouver un briquet sur la poche de côté. Je ne suis un gros fumeur mais c'est le genre de choses qu'il faut toujours avoir sur soi. Je le lance à Puck avant de grimacer. « J'me suis cassé de chez moi. Mais j'ai pris soin de prendre la carte de crédit du paternel avec moi. » Je regarde à nouveau mon ami qui tire sa première bouffée sur son joint. « Et toi? Qu'est-ce que tu as pour avoir besoin de la Marie-Jeanne en pleine journée? »