« C'est pas vrai ! » s'écrie Olivia, alors que sa jauge à essence est dangereusement basse. En fait, cela doit faire un moment que cela dure, mais elle n'y a pas vraiment fait attention. Une mauvaise habitude acquise dès l'obtention de son permis. En effet, elle ne s'inquiétait jamais de tomber en panne d'essence, car le matin, son réservoir était toujours plein, une délicieuse attention de Thomas, le jardinier de la maison, qui exécutait parfois des tâches en plus. Depuis son arrivée à White Oak Station, elle a donc continué à ne jamais regarder son compteur, et il lui est déjà arrivé plusieurs fois de devoir au dernier moment se rendre à une station. Cependant, aujourd'hui, cela n'allait pas être possible, car elle se trouve perdue en pleine campagne, chose rare, elle qui n'apprécie que moyennement la ruralité. En vérité, elle n'y avait jamais mis les pieds jusqu'à environ six mois auparavant, où une amie de fraîche date, Azel, l'y avait emmenée avec bon plaisir. Olivia, la citadine, avait trouvé la campagne plutôt dépaysante, et y revenait de temps en temps, pour se relaxer, mais sans en être totalement passionnée. Elle trouvait quand même cela "sale", et certaines odeurs la dérangeaient un peu, mais le calme qu'on y trouvait était véritablement reposant. La voilà donc sortant de sa voiture sur le bas-côté, le portable dans la main, essayant désespérément de trouver du réseau pour pouvoir appeler une dépanneuse. Bien sûr, comme un malheur n'arrive jamais seul, son téléphone ne passe pas, et elle commence à perdre sérieusement patience. La jeune femme jure plusieurs fois, et en désespoir de cause se décide à marcher pour rejoindre la ferme la plus proche, qu'elle aperçoit au loin. "Je dois être maudite, putain", pense-t-elle en soupirant et en regardant ses escarpins, qui ne sont pas vraiment taillés pour un trajet à pied. Elle n'y a pas vraiment songé ce matin en les enfilant, après tout il devait juste s'agir d'un petit tour en campagne, rien de plus. Comment aurait-elle pu deviner qu'elle aller se mettre dans un pétrin pareil ? Elle se met donc en route, pestant en son for intérieur contre la chaleur du soleil, contre sa bêtise et en général, contre le monde entier, lorsqu'elle voit une voiture en contresens. Sans y réfléchir plus d'une seconde, elle se plante au milieu de la route et crie à la personne qui conduit de s'arrêter. Cela fait, elle se dirige vers la côté conducteur, le soleil dans les yeux, et apostrophe le chauffeur, qu'elle ne distingue pas vraiment de là où elle se trouve : « Excusez-moi, pouvez-vous m'aider ? J'ai eu un petit problème avec mon véhicule. » Sa question est formulée comme une affirmation, et il est clair qu'elle attend une réponse positive de la part du conducteur.

Il roule, il roule depuis des heures. Cette ville n'est pas la sienne et il a beau essayer de lui trouver quelque chose de charmant, ce n'est pas son monde. Les gens sont mielleux avec lui, il ne cesse de le dévisager à chaque fois, ce qui le pousse à prendre la fuite. Avant d'arriver à White Oak, il ne connaissait cette ville que de nom et il n'envisageait pas de s'y rendre. Pourtant, suite à ses démons, il se retrouve là, dans un monde qui était bien loin d'être le sien. Il se répète donc qu'il n'est que de passage ici, mais plus les jours passent, plus sa situation reste pour le moins constante. Toutefois, il a envie de découvrir un peu la province d'Alberta et de ce fait, il s'est rendu dans les villes voisines. Sage n'avait jamais mis les pieds au Canada, il n'avait jamais quitté Los Angeles, sauf pour des voyages scolaires ou pour des tournages, mais il n'avait pas eu le temps de visiter. De plus, c'était toujours les États-Unis. Bref, il venait donc de reprendre le chemin du retour et il roule à vive allure. La musique à fond, histoire de le rendre sourd. Les routes sont désertes et il ne contrôle même plus sa vitesse, il accélère pour rentrer plus vite, pour retourner dans cette maison qui n'est pas la sienne, qui est vieille et qui sent le doux parfum des fleurs : écoeurant. Ses lunettes sur le nez, Sage ne prend même pas la peine d'observer le paysage. A ses yeux, ce ne sont que de simple champs ou des arbres, rien de bien intéressant en soit. Alors qu'il est concentré sur la route, une femme se jette sur celle-ci pour arrêter sa voiture. Elle est en panne et réclame de l'aide. Il soupire, n'ayant pas vraiment d'autre choix que de ralentir et de prendre place sur le bas côté. Surtout qu'il a reconnu l'une de ses vieilles connaissances. Il sort donc de la voiture, s'aventurant vers celle d'Olivia, car oui, c'est elle, il en a la certitude. Il la mate de haut en bas, comme un véritable pervers avant de s'exclamer. « T'es toujours aussi bonne ! » Si elle ne l'a pas reconnu immédiatement, elle va certainement l'insulter. Il s'avance donc vers la voiture, saisissant la manette pour ouvrir le capot. Les femmes et les voitures; quelle histoire. « Bon il est où le problème ? Les durites sont bonnes, il manque un peu d'huile, mais ce n'est pas ça qui a causé la panne. » Il ouvre la portière pour prendre place, démarrant la voiture pour observer la jauge. « Tu connais les stations d'essence ? »

La jeune femme hausse les sourcils lorsqu'elle entend la remarque du conducteur, reconnaissant parfaitement la voix de son ancien petit ami, si on peut décrire leur relation comme telle. Cependant, son ouïe doit lui faire défaut, car il est impossible qu'ils se retrouvent tous les deux ici, dans cette campagne perdue. Il y a quoi, une chance sur un millier ? Pourtant, c'est bel et bien vrai puisque maintenant que le soleil ne l'aveugle plus, et que l'homme est sorti de la voiture, elle reconnaît les traits de son visage. « Et toi, t'es toujours aussi élégant ! », lui répond-elle, sarcastique. Elle croise les bras devant l'examen minutieux que fait Sage de son corps, et lève les yeux au ciel. Sérieux, elle n'est pas un bout de viande. Il y a un an, elle aurait apprécié le regard et la remarque, mais aujourd'hui, cela la laisse indifférente (bon, peut-être que cela la flatte un tout petit peu, mais pour le moment, elle pense surtout à son problème de voiture). Olivia le mène donc à son véhicule, l'écoutant faire son constat. Elle aurait pu lui dire tout de suite que le problème vient de l'essence, mais à vrai dire, cela lui laisse le temps de l'observer à la dérobée. Après tout, cela fait un moment qu'elle ne l'a pas vu, et il ramène un petit bout de son passé avec lui. Physiquement, il n'a pas changé. Il reste aussi séduisant que lors de leur première rencontre, orchestrée par la mère d'Olivia elle-même, lorsque la jeune femme habitait encore Los Angeles. Il doit se rappeler d'elle une femme superficielle et capricieuse, toujours prête à faire parler d'elle, en bien ou en mal. Quel changement. A la question de Sage, elle sourit, un petit peu crispée tout de même. « Oui, très bien, je ne suis pas née de la dernière pluie, je te remercie. » La jeune femme hausse ensuite les épaules et ajoute : « Mais tu sais bien que j'ai toujours eu l'habitude que quelqu'un remplisse le réservoir à ma place. Bien sûr, je m'en occupe maintenant, mais les oublis, ça arrive. » Olivia passe une main dans ses cheveux, son tic lorsqu'elle est angoissée ou qu'elle perd patience. Et cette fois-ci, c'est la seconde solution. « Bref, tu peux faire quelque chose ou pas ? Tu as du réseau ? Ce serait déjà un bon début. » D'autres questions lui brûlent les lèvres, mais ce n'est pas vraiment le moment. Si il habite par ici, elle aura le temps de les poser plus tard. A condition qu'ils se revoient, bien entendu.

Cette femme qui lui fait signe de s'arrêter, il la reconnait aussitôt. A peine s'appuie-elle sur la portière de sa voiture qu'il la discerne. Elle est belle, même si le soleil l'éblouie trop pour qu'elle le reconnaisse. Pourtant, s'il s'attendait à croiser une belle inconnue, il ne comprend pas pourquoi c'est Olivia. Elle lui a toujours répété qu'elle aimait trop sa ville natale pour envisager un futur ailleurs que là-bas. Il s'arrête donc quelques mètres plus loin pour sortir de la voiture, afin d'examiner la sienne. Il l'a toujours dit et clamer haut et fort, une femme au volant, c'est dangereux et on ne peut pas le faire confiance. Il ne peut s'empêcher de la mater, même si son regard est malsain, c'est dans sa nature d'admirer les femmes tel un porc sorti de sa cage. Il lui fait une remarque plutôt déplacé, et celle-ci lui répond qu'il est toujours aussi élégant, ce qui le fait sourire. C'est plaisant pour lui d'être flatté par une aussi jolie créature qu'elle. « On pourrait croire pourtant. » Répond-il, alors qu'un sourire se dessine doucement son visage. Le fait de la voir arrêter sur le bord de la route ne le surprend pas tant que ça, elle a toujours été pourrie-gâtée et les choses ont toujours été faites à sa place, pas étonnant qu'elle soit incapable de mettre de l'essence dans sa voiture. Il souffle doucement avant de rétorquer : « Je suis sûre que ça t'arrive fréquemment, ça ne m'étonne pas du tout. Maintenant tu n'as plus tes domestiques pour faire les choses à ta place, à ce que je vois. » As-elle pris son envol ? Une bonne résolution qu'elle ai décidé de s'entretenir toute seule. Elle est quand même en âge d'avoir des responsabilités. Il s'appuie contre sa portière, sortant son téléphone de sa poche, affichant une légère grimace. C'est pour ça qu'il n'aime pas la campagne, il ne trouve jamais de réseau. Il reprend à nouveau la parole. « Et bien je n'ai pas de réseau non plus. Cependant, je peux toujours d'amener jusqu'à une station service de la ville, puis te ramener à ta voiture après. » Il se mord doucement la lèvre inférieure, glissant son téléphone dans sa poche, lâchant un léger soupir, agacé par cette campagne qu'il déteste tant. Il pose ses yeux sur Olivia, qui est toujours aussi sublime qu'avant. « Cela dit, j'ai quoi en échange ? » Il lui lance alors un clin d'oeil, attendant bien sûr quelque chose de sa part.

Pourquoi a-t-il fallu qu'elle ait sa panne d'essence un jour de grand soleil, alors que la chaleur est presque insoutenable ? C'est ce que se demande Olivia tout en s'éventant avec la carte géographique de la province qu'elle a trouvé dans sa voiture. Elle ne se rappelait même pas qu'elle en avait une. Il faut dire que désormais, elle connaît assez bien les environs pour ne pas avoir besoin d'aide quelconque. A la première remarque de Sage, elle émet un petit signe d'agacement mais se tait, ne voulant pas risquer d'envenimer la situation. Cependant, lorsque son ancien petit ami aborde le sujet de ses domestiques et la pique un petit peu à ce sujet, elle a du mal à se contenir. En soi, il a raison, durant vingt-deux ans elle a été choyée et n'a rien fait par elle-même, puisque avec un claquement de doigt elle obtenait ce qu'elle désirait, mais elle n'apprécie pas vraiment la remarque. Enfin, la jeune femme a toujours été susceptible, ayant tendance à prendre la mouche pour pas grand-chose et à se vexer lorsqu'on lui dit ses quatre vérités, et c'est un trait de caractère qui ne disparaîtra sûrement jamais. Il est trop ancré en elle pour qu'elle puisse le gommer, bien que maintenant elle se rend compte de l'existence de ce défaut, et essaie de le corriger un petit peu. « Tu te trompes, c'est la première fois que ça m'arrive et ce sera la dernière. J'étais juste pas mal occupée ces derniers temps, et je n'ai pas pensé à vérifier l'essence. Tu vas me dire que tu n'oublies jamais rien ? » Elle n'a pas menti mais n'a pas non plus dit la vérité. C'est vraiment la première fois qu'elle se trouve en panne d'essence, même si elle a frôlé la catastrophe plusieurs fois. Par contre, son oubli n'est pas du à un trop plein de travail, juste à une ancienne habitude qui a du mal à partir. « Quant à mes domestiques, en effet je n'en ai plus, tu vois je m'occupe de moi comme une grande. » Elle sourit, même si elle est restée assez sèche depuis le début de la conversation, elle est contente de voir Sage et est secrètement impatiente de savoir ce qu'il fait ici. Sa proposition la soulage, cela lui retire une épine du pied, elle va pouvoir enfin se sortir de ce pétrin. « Génial, merci, je me voyais déjà marcher pendant des kilomètres pour aller demander de l'aide. » Olivia rit légèrement quand elle entend la question de Sage. Elle hausse les épaules et réplique avec malice : « Le simple fait d'aider une demoiselle en détresse et d'agir en chevalier servant ne te suffit pas ? »Elle lui sourit, attendant sa réponse tout en fermant sa voiture à clé.