~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
tout le monde avait les yeux rivés sur nous. nous étions l'attraction du lycée, comme tous les jumeaux. car oui, j'avais une jumelle, de deux minutes plus âgée que moi. nous nous ressemblions tellement que seul le fait que nous n'avions pas la mèche du même côté nous différenciait. nous étions aussi extraverties l'une que l'autre, aussi intelligentes l'une que l'autre, aussi jolies l'une que l'autre. les garçons se retournaient sur notre passage, les filles nous regardaient avec envie, ou même jalousie. c'était le bon temps, comme diraient certains. maintenant ce n'est plus la même chose, bien évidemment. j'ai perdu ma sœur lorsque j'avais dix-sept ans. depuis ce jour, je n'ai plus mis les pieds au lycée. je n'en étais tout simplement incapable, il y avait beaucoup trop de souvenirs là-bas. je n'avais pas laissé tomber les études, au contraire. je me suis renfermée et étudié à la maison. je suis restée ainsi pendant un an, jusqu'à ce que je me reprenne en main.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
si je suis heureuse ? je l'ignore. j'essaie, en tout cas. le fait d'être heureuse ne me semble plus qu'être une idée farfelue. depuis trois ans, je ne me pose plus cette question. je vis au jour le jour, je profite des bons moments comme il se doit, et j'encaisse les mauvais événements comme j'ai appris à le faire. enfin, ce n'est pas comme si j'étais déprimée ou quoi que ce soit. j'essaie de ne pas l'être en tout cas, je ne veux pas que tout le monde s'inquiète pour moi. si jamais on me poserait cette question, je dirais simplement que oui, je suis heureuse. même si ce n'est pas forcément la vérité.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
dans dix ans, j'en aurais trente. j'ai déjà du mal à m'imaginer dans une semaine, alors dans dix ans... néanmoins, j'ai envie de certaines choses. d'avoir une famille, par exemple. j'ai envie d'avoir un mari, des enfants. j'ai aussi envie de faire carrière dans la danse, j'ai envie d'être sur les affiches des plus beaux opéras et théâtres du monde, j'ai envie qu'on vienne me voir parce que je suis gracieuse, que je suis talentueuse. j'imagine que dans dix ans j'aurais réussi ma vie, du moins sur certains points. peut-être que je serais vraiment heureuse, pour de bon, et que le passé n'aura plus un tel impact sur moi-même que ce qu'il en est maintenant. je l'espère, en tout cas.

PRÉNOM ET/OU PSEUDO: mon prénom c'est joyce, mon pseudo electric heart. mais appelez-moi comme vous voulez, d'habitude on m'appelle jay. ÂGE: dix-sept ans, la majorité approche aha. PAYS: celui de la baguette et des cuisses de grenouilles lolilol. PRÉSENCE: quotidienne. COMMENT AVEZ-VOUS CONNU LE FORUM? je l'avais dans mes favoris depuis je ne sais combien de temps aha.  PERSONNAGE INVENTÉ OU SCÉNARIO? inventé. AUTRE CHOSE À AJOUTER? vous êtes fab, votre forum dépote. 

j'ai toujours été la plus fragile de nous deux. celle qui tombait toujours malade, celle qui avait le moins d'énergie, celle qui était diabétique, celle qui avait des tics nerveux étranges, celle qui essayait d'être comme sa sœur. elle, elle, était resplendissante. elle était belle, pleine de vie, elle méritait tout ce que la vie lui offrait. alors pourquoi elle ? pourquoi ce fut elle qui perdit la vie ? pourquoi ce fut elle qui ne parvint pas à se battre ? pourquoi j'ai survécu alors qu'elle le méritait plus que moi ? je me pose ces questions inlassablement, depuis trois ans maintenant. j'espère qu'un jour j'aurais une réponse.

« nala, ton poignet. » « désolée. » j'éloigne mes ongles de mon poignet, qui est recouvert d'égratignures, certaines saignant à nouveau. je fais ça depuis petite – me gratter le poignet jusqu'au sang. un tic nerveux, me semble-t-il. ma sœur ne cesse de me surveiller, et de me réprimander au besoin. entre nous, c'est bizarre. nous n'avons que deux minutes d'écart, et pourtant, on dirait qu'elle a au moins deux ou trois ans de plus que moi. elle paraît beaucoup plus mature que moi. enfin, ce n'est pas que je ne suis pas mature – je pense l'être, enfin, je crois –, mais elle, elle pense tout le temps à son avenir. et quand je dis tout le temps, c'est tout le temps. elle n'arrête pas de me rabâcher les oreilles avec ses choix d'université, ses projets avec son copain... alors que moi je l'écoute, en pensant à la danse. je pense à mes nouveaux chaussons, au justaucorps pailleté que j'ai vu l'autre jour, au nouveaux pas que je devrais ajouter à ma chorégraphie. « nalaaaaa, allô la terre. tu m'écoutes ? » elle claque ses doigts manucurés devant mes yeux. oh, je devais être en train de rêvasser. c'est ce que je fais quand elle parle trop. je me déconnecte, en quelques sortes. « oui. désolée. tu disais ? » « je disais : tu devrais venir avec nous à cette soirée. avant de parler, je sais que tu dois répéter pour ton ballet. mais j'ai aucune envie d'y aller toute seule, et d'habitude quand on sort on y va toutes les deux. tu devrais t'amuser un peu, même si je suis au courant que cette semaine c'est pas vraiment l'idéal. » « tu as raison, c'est vraiment pas 'l'idéal'. » et ça y est, elle me fait ses yeux de cocker. je lève les miens au ciel. « tu es sûre qu'on peut rentrer ? je te signale qu'on est pas majeures. » « on n'aura qu'à faire notre numéro des jumelles irrésistibles. tu sais très bien que ça marche à tous les coups. » je sais que c'est loupé. je ne peux plus refuser. « bon, d'accord. mais on ne rentre pas trop tard, j'ai des répétitions demain. » elle tape des mains et sautille, visiblement ravie. lorsque nous sommes sorties de notre maison, personne ne s'est douté que c'était la dernière fois qu'on la verrait aussi souriante. aussi vivante.

je ne sens plus mes jambes. je ne sens plus rien, en fait. comme si mon corps était enseveli sous du béton. je suis incapable de bouger mes membres, je suis incapable d'ouvrir les yeux. d'abord, je n'entends rien, mais petit à petit, les sons se font plus distincts. j'entends des bips, j'entends des voix, j'entends des portes qui se ferment. peu à peu, mes sens refont surface, et je me sens comme engourdie. je voudrais me lever, mais je me sens encore trop faible. « elle se réveille. » parce que je m'étais endormie ? non, pas possible. je me souviens être sortie, je me souviens avoir dansé. j'ai beaucoup dansé, et beaucoup bu, aussi. mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? j'ai l'impression de m'être évanouie, d'avoir eu un espèce de black-out. et puis, pourquoi je suis engourdie comme ça ? on dirait que je délire. je suis comme sur un petit nuage – avec cette impression que le retour à la réalité sera plus dur que prévu, que la chute va être douloureuse. j'ouvre enfin les yeux, difficilement. mon champ de vision est flou, je vois des étoiles, mais je ne suis pas aveugle. « nala, bébé. est-ce que ça va ? j'ai cru que tu n'allais pas te réveiller. » ma mère. sa voix se casse à la fin de sa phrase, et je vois bien qu'elle se retient de pleurer. pourquoi a-t-elle l'air aussi triste ? tellement de questions, et si peu de réponses. « ...maman.. » ma voix est à peine audible. j'ai quelque chose dans le nez, qui me gratte. sûrement pour m'aider à respirer. mais où est-ce que je suis ? où est ma sœur ? pourquoi j'ai besoin d'aide respiratoire ? « où est...où elle est... » mon regard, paniqué, se promène sur la pièce austère, où se trouvent des bouquets de fleurs, des machines toutes plus étranges les unes que les autres, et mes parents. je suis à l'hôpital. et je suis effrayée. quelque chose de mauvais vient de se passer. comme si... comme si j'avais perdu une partie de moi-même. je ne me sens plus complète, plus comme avant. maman se met à pleurer, papa la prend dans ses bras. ils pleurent tous les deux, ils me tiennent tous les deux la main. c'est là que je comprends. « ...non. non, non, non. » j'ai envie de crier, de hurler à la mort. j'ai envie de tout casser. mais seuls des murmures sortent de mes lèvres, seules des larmes chaudes coulent le long de mes joues. je me sens vide. incomplète.

la morsure de l'aiguille me fait grimacer, tandis que j'appuie sur le piston et que l'insuline s'infiltre en moi. c'en est devenu automatique, autant que le fait de sourire ou de dire 'oui, je vais bien'. ça fait un an qu'elle est partie. un an que j'essaye d'avancer, un an que j'essaye de paraître normale. je tente d'être heureuse, de sortir avec mes amis, mais je suis trop brisée pour ça. je suis trop vide à l'intérieur pour jouer encore le jeu. et je sais que tout le monde l'a remarqué. néanmoins, je tente de faire bonne figure. « c'est bon, j'en ai marre. tu t'en vas. » je lève la tête et vois ma mère, qui est à la porte de ma chambre. je range mon matériel et la regarde d'un air las. « tu me vires ? » il fallait que je m'y attende, en même temps. depuis un an je suis enfermée à la maison, je sors de moins en moins souvent, je deviens un légume dépressif. « non, je ne te vire pas. je dis juste que tu devrais aller, je sais pas... chez une de tes tantes. » « la seule tante que j'ai c'est la sœur à papa, et elle habite au canada, maman. au canada. » ma mère sourit. pas un de ces sourires honnêtes, non, elle a le genre de sourire en coin qui veut dire 'plus loin tu seras, mieux ce sera'. autrement dit, je suis dans la merde. « ça va te faire un grand bien, ma puce. tu auras ton petit appartement, ton boulot, et ton père et moi on s'occupera de tes frais de scolarité. et en plus, tu ne seras pas toute seule, ta tante sera là si jamais tu as envie de parler. » « mais maman... » « pas de 'mais', ma chérie. tu vas nous manquer, ça c'est sûr, mais tu as vraiment besoin de faire le point. de changer d'air. » changer d'air. oui, c'est de ça que j'ai besoin. j'ai besoin de repartir à zéro, de refaire ma vie. elle aurait voulu que je sois heureuse. je vais tout faire pour l'être. promis.